[Interview] Laura Martin, une coloriste dans la lumière

Lors des précédents interviews à la Comic Con, nous avions rencontré des dessinateurs et des scénaristes mais nous voulions aussi mettre en avant un métier encore trop méconnu, celui de coloriste, en profitant de la venue de Laura Martin.

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Pouvez-vous nous expliquer votre travail de coloriste, souvent peu mis en avant par rapport au dessinateur ou scénariste ?

Nous ne recevons pas beaucoup d’attention alors que nous faisons beaucoup de travail. Je reçois le dessin au trait en noir et blanc le plus souvent scanné (et donc pas la page originale). Après avoir lu le script, on pose des questions, si nécessaire, au scénariste et au dessinateur. On décide comment structurer les couleurs pour rendre un effet cinématographique et raconter une histoire. On prend beaucoup de décisions basées sur la couleur mais aussi la lumière, l’état d’esprit et l’impact émotionnel. Je cherche à évoquer le plus possible, à apporter le plus d’atmosphère qui n’est pas dans la version noir et blanc. Nous faisons cela pour un grand nombre de pages puis on reprend.

Parfois, votre nom n’apparaît pas souvent sur la couverture ?

Oui c’est vrai et je voudrais le voir plus souvent.

Lisiez-vous des comics enfant ?

Oui mais pas autant que certains de mes amis. J’ai lu les X-Men et des trucs pour les plus jeunes : Archie, MAD Magazine… J’étais plus familière des bd pour enfants que des super-héros mais j’ai appris très vite et je suis devenu fan.

Quelles études avez-vous faites pour devenir coloriste ?

En fait, j’ai étudié pour être graphiste mais quand j’étais à l’école un ami m’a dit : « As-tu pensé à travailler dans les comics ? » J’ai pensé : « Des gens sont payés pour faire des comics ? » J’ai immédiatement changé d’avis. Une fois que j’ai fini mes études supérieures, j’ai postulé pour travailler dans les comics et j’y bosse depuis 25 ans.

Combien de temps avez-vous pour faire un épisode ?

Cela dépend de la deadline. Mon travail est à la fin et donc j’ai le temps qu’il reste. J’aime faire deux à trois pages par jour mais parfois une, quatre ou aucune le plus souvent et beaucoup plus ensuite (en riant). Si le délai est juste ou si j’ai perdu du temps, je dois en faire de six à dix par jour.

Préférez-vous les ambiances sombres ou lumineuses ?

J’aime bien les deux. Un projet peut être sombre, violent et horrifique puis un autre mignon et drôle. C’est drôle de changer.

Vous avez travaillé pour des indépendants et des grandes compagnies (Marvel et DC). Est-ce le même travail ?

C’est différent dans le sens où j’ai plus de liberté dans le look des comics en indépendant alors que, par exemple, on sait que Superman est en bleu et rouge. Il y a plus de limitations mais globalement j’ai pas mal de liberté. Peu m’importe si c’est Marvel, DC ou les Humanoïdes… tant que j’ai une bonne communication avec mon équipe et que je comprends le projet. On pense la même chose et on veut raconter la même histoire. Donc j’essaie de respecter ce qu’ils ont imaginé pour la page tout en y mettant ma patte. J’approche chaque projet pour lui-même en me basant sur l’histoire ou le dessin.

Quelles sont vos relations avec le scénariste, le designer ou le dessinateur ?

J’essaie de garder une communication ouverte. Parfois, certains artistes me laissent totalement libre pour se consacrer à leur travail alors que d’autres sont plus impliqués et on échange beaucoup sur ce qu’on pense, sur la référence à un film, sur l’ambiance… Ils m’aident à voir où je dois aller. Les deux méthodes me conviennent.

Avez-vous la possibilité de dire non à certains choix ?

Parfois et de proposer autre chose.

Quel est votre scénariste ou votre dessinateur préféré ?

C’est une question difficile. J’ai travaillé avec beaucoup. Probablement l’artiste avec qui j’ai le plus travaillé : John Cassaday sur Planetary, X-Men… On fonctionne bien ensemble. Mais j’adore travailler avec presque tout le monde : Walter Simonson sur Ragnarök pendant plusieurs années, il est très gentil et c’est un artiste incroyable qui se sous-estime. J’ai une belle carrière avec de belles personnes.

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Est-ce que l’arrivée du numérique a changé votre travail ?

J’ai commencé avec le numérique en 1995. Photoshop était le standard et je continue encore aujourd’hui. Ce qui a changé ce sont les iPads et les tablettes. Le plus souvent, avant, je devais travailler sur des grandes machines sans pouvoir me déplacer mais désormais je peux travailler dans un café, où je veux. Je préfère Apple mais photoshop ne fonctionne pas sur iPad. Il y a d’autres logiciel qui marchent : Quickstudio. J’apprends à utiliser ces nouveaux logiciels qui ne sont pas si différents car je veux travailler dehors pour pouvoir sortir de mon bureau. Je suis un peu lente à m’y mettre mais j’y viens.

Vous avez travaillé sur Marvel comics 1000. Pouvez-vous nous expliquer le projet ?

Cela a commencé il y a six mois ou un an. Marvel m’a contactée pour me présenter le projet et me demander d’en faire une partie. J’ai travaillé avec John Cassaday.

Qu’avez-vous vu dans le film Captain Marvel ?

Son personnage devient ce qu’elle aurait toujours dû être mais elle avait été mise à terre par le système et son patron. La voir trouver la plénitude de sa puissance était fantastique. Je pense que c’est un exemple de pour les femmes. Ne pas toujours croire ce qu’on vous dit, ce que vous pouvez faire mais le trouver pas vous-même.

Que pensez-vous de la question de la diversité dans les comics ?

J’aime beaucoup les nouveau personnages comme Miss Marvel ou Squirrel Girl que je trouve « so cute ». Il faut de nouveaux personnages pour que les jeunes filles aient envie de lire des comics et puissent s’identifier aux personnages. Il ne faut pas paniquer, les anciens personnages sont toujours là : Thor, Captain America… mais, à côté, il faut inventer de nouveaux personnages pour enrichir l’univers ?

Que pensez-vous de Thor / Jane Foster ?

Je l’adore ! Elle est parfaite et voir Jane Foster incarner le personnage était extraordinaire. J’aime beaucoup quand Olivier Coipel la dessine, c’est merveilleux. J’aime aussi beaucoup Ironheart, la version féminine d’Iron Man. Il faut de la diversité, il faut que chaque lecteur puisse se retrouver dans les comics, quelle que soit sa couleur de peau, quel que soit son genre ou son âge. Je milite vraiment pour la diversité et j’en demande encore plus !

Avez-vous un message pour les lecteurs de comics ?

Oh mon dieu. Achetez plus de comics et, si vous n’avez jamais essayé un autre genre de comics comme les histoires d’amour, le fantastique, essayez quelque chose de nouveau. Parlez à votre libraire qui vous recommandera des livres. Il est facile de critiquer sur internet mais n’oubliez jamais que l’on bosse dur pour faire de notre mieux.

N’hésitez pas à regarder nos autres interviews lors du Comic Con : Daniel Acuña, Jorge Molina, Chris Claremont, Jim Zub, Rick Leonardi, Pére Pérez et Giuseppe Camuncoli.

Sonia Dollinger (traduction par Thomas Savidan)