[review] The Few

Il y a quelques semaines, les éditions Bragelonne annonçaient la naissance de leur nouveau label, Hi Comics qui prend la suite de Milady. Parmi les premiers titres sortis, on compte Ricky et Morty et The Few sur lequel j’ai jeté mon dévolu, l’occasion de découvrir ce nouvel éditeur et un titre qui ne laisse pas indifférent !

Un résumé pour la route

the-fewThe Few est scénarisé par Sean Lewis et illustré par Hayden Sherman. Aux Etats-Unis, le titre est sorti chez Image Comics en 2017. En France, The Few est publié par Hi Comics en 2018.

Dans un monde dystopique, une jeune femme court au cœur d’une forêt enneigée du Montana, un bébé dans les bras. Deux hommes mettent fin à sa course éperdue et l’entraînent vers un monde inconnu. Dans cet univers qui paraît un peu trop proche du nôtre, les ressources sont rares et l’air vicié; des factions s’affrontent pour prendre le contrôle de ces terres désolées. Quel est l’avenir d’Edan Hale et du petit dont elle ignore le nom dans un tel imbroglio ?

On en dit quoi sur Comics have the Power ?

Evidemment, on entend déjà les grincheux dire : « encore un titre post-apocalyptique ! » en levant les yeux au ciel. Oui, the Few est un récit qui se déroule dans un monde proche du nôtre dans lequel on soupçonne que des catastrophes naturelles et des guerres ont fait éclater la société, un monde dans lequel les ressources sont devenues rares, où l’air est loin d’être pur. Sean Lewis, comme Robert Kirkman dans The Walking Dead ne s’attarde pas sur les causes de cette apocalypse. Il en dépeint juste le résultat : les hommes s’entre-déchirent pour sauvegarder le peu qu’il reste.

Le monde semble divisé en plusieurs factions : l’héroïne appartient au Palace, une vaste cité dont les symboles rappellent les totalitarismes du XXe siècle. Un immense mur enserre le Palace et ses habitants qui se sentent à l’abri du reste du monde. Les habitants se croient supérieurs et veulent préserver des intrusions extérieures ce qui, pour eux, reste la quintessence de l’humanité. Ils se pensent en derniers représentants d’un monde civilisé.

The_Few_2Une autre faction est sous la coupe d’une sorte de prêtre appelé Herrod – nom qui rappelle celui des anciens rois de Judée – qui exerce une fascination théologique sur ses adeptes. Herrod, dont le graphisme fait penser à un personnage de Moebius, est à la tête d’une bande de sauvages meurtriers, uniquement animés par la foi qu’ils portent à leur chef ivre de pouvoir.

Le troisième groupe, qu’on surnomme les Autres, n’appartiennent pas aux deux premiers. Ils ne sont nommés que par opposition au Palace ou au groupe d’Herrod, ils sont tout ce qui n’est pas notre semblable, ils sont à la fois le différent et l’ennemi, ils sont aussi l’espoir. Sean Lewis et Hayden Sherman le montrent de manière simple au moyen d’une double-page montrant simplement un panneau indiquant : « nous sommes les Autres » car on est tous l’autre de quelqu’un.

Le personnage principal est une femme soldat, hantée par son passé, par sa relation à son père et à son mentor qui continue de la poursuivre par delà la mort. Edan Hale a fui son « clan », emportant avec elle l’enfant d’une autre dont elle sait à vrai dire peu de choses. Edan est, pour Sean Lewis, le symbole de l’être humain pétri de certitudes, élevé dans un état d’esprit fermé à l’autre, un personnage sûr de sa supériorité selon une notion qu’on lui a inculquée dès la naissance. Le scénariste évoque à travers elle la notion de libre-arbitre et nous incite tous à une distanciation par rapport à l’éducation que nous avons reçue et qui doit être questionnée pour pouvoir s’en détacher ou en tirer le meilleur.

Edan fait des choix tout au long de l’ouvrage même si ses premières actions semblent uniquement dictées par le conditionnement dont elle a fait l’objet depuis l’enfance. Sean Lewis, à travers ce titre, évoque le rapport à la figure du père, au modèle, à celui qu’on suit ou dont on s’écarte mais dont on ne peut jamais faire abstraction. L’auteur nous demande également de réfléchir à notre manière d’obéir aux ordres voire de faire du zèle. Le modèle qu’on nous demande de préserver vaut-il le sacrifice de sa propre humanité ? Enfin, Sean Lewis propose à ses lecteurs de suivre la rédemption d’Edan et ses conséquences : qu’est-elle prête à affronter une fois qu’elle a décidé elle-même de son chemin et de ses valeurs ?

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Le rapport d’Edan Hale et du bébé qu’elle recueille est tout aussi passionnant : peu à peu, l’attachement entre les deux grandit, c’est l’enfant qui sert d’instrument de rédemption à Edan. Ils s’apprivoisent mutuellement comme le Petit Prince et le Renard de Saint-Exupéry… mais une fois apprivoisés, on est inquiet et on souffre pour l’autre. Au contact de l’enfant, Edan se dépouille peu à peu de ses certitudes, de sa cuirasse et devient un être nouveau malgré la culpabilité qui la ronge, elle semble avoir droit à une seconde chance.

Qu’en est-il du trait si particulier d’Hayden Sherman dont l’apparent simplicité peut rebuter une partie du lectorat ? Je dois reconnaître avoir été déroutée au tout début mais la force des planches de l’artiste m’a vite convaincue. Les personnages sont puissants, parfois à peine esquissés par une silhouette carrée. Ils sont souvent perdus dans une immensité neigeuse. La majorité des planches sont en noir et blanc mais des taches rouges en jaillissent régulièrement, soulignant la violence du monde imaginé par Sean Lewis. Certaines touches de couleurs parsèment les cases pour relever des détails ou accrocher le regard. Le découpage est souvent très intelligent, offrant des pauses, des silences au lecteur dans cet univers stressant. Hayden Sherman livre des pages fascinantes et extrêmement parlantes.

Alors, convaincus ?

The_Few_3A ma grande surprise, The Few est pour moi une lecture marquante, tant par les messages qu’elle délivre que par un univers graphique aussi complexe que simple en apparence. Sean Lewis, par son écriture incisive mais poétique a su me toucher et je conseille vivement de lire sa préface qui permet d’entrer totalement dans son univers si particulier. Le monde qu’il dépeint nous renvoie au nôtre, à notre futur, certes mais aussi à notre présent. Sean Lewis nous tend un miroir sans concession et impose à son lecteur un questionnement sur lui-même et sur son rôle au sein d’un groupe, d’une organisation ou d’une société.

Le travail de l’éditeur, Hi Comics, est quant à lui très soigné, le volume est beau et contient une galerie de couvertures, un cahier reprenant les crayonnés et les designs d’Hayden Sherman agrémentés des explications de l’illustrateur. Ces bonus sont particulièrement appréciables pour mieux comprendre la manière de travailler de Sherman.

Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, The Few est un titre qui ne laisse pas indifférent et qui peut marquer son lecteur assez profondément et lui permet de se questionner, c’est le signe à mes yeux d’un comic-book réussi.

Sonia D.

6 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. J’aurai probablement jamais tenté l’expérience (les dessins, j’avoue je suis faible), mais ta présentation de l’intrigue m’intéresse ! Peut-être à l’occasion =D

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