[review] Coyotes tome 1

Me revoilà avec un titre de Sean Lewis entre les mains après ma lecture de The Few, premier titre que j’ai pu lire chez Hi Comics. L’écriture de Sean Lewis m’avait alors séduite et je guettais avec intérêt l’occasion de lire quelque chose d’autre. La publication du premier volume de Coyotes m’en donne l’occasion. On retrouve des personnages féminins forts et une interrogation profonde sur notre société, marques de fabrique de Lewis, qu’il développe cette fois dans un univers très différent de The Few.

Un résumé pour la route

Coyotes_1Coyotes est un titre scénarisé par Sean Lewis et illustré par Caitlin Yarsky. Le récit sort aux Etats-Unis chez Image Comics et en France chez Hi Comics en août 2019.

La vie est difficile pour les femmes dans la ville frontière qu’on appelle la cité des filles perdues. Jeunes ou adultes, les femmes disparaissent sans espoir de retour. Leurs prédateurs sont des meutes de loups-garous. Mais que sont des loups-garous sinon des hommes ? Bien décidées à ne pas subir et n’être que des victimes, les femmes s’organisent. Une lutte sans merci va s’enclencher entre les prédateurs et celles qui ne veulent plus se contenter d’être des proies.

On en dit quoi sur Comics have the Power ?

Coyotes se déroule dans un univers assez hétéroclite qui mêle des influences diverses. Le décor désertique laisse penser qu’on pourrait se trouver au sud des Etats-Unis dans une ville-frontière aux allures plus qu’hostile. Les personnages emploient d’ailleurs certains mots hispaniques et leur allure confirme cette hypothèse. Toutefois, on retrouve aussi quelques influences asiatiques avec l’utilisation des arts martiaux et des katanas qui donnent un petit côté Kill Bill à ce récit. Enfin, la présence d’une « Duchesse » aux allures victoriennes se revendiquant clairement de l’Angleterre du XIXe siècle apporte une petite touche européenne à l’ensemble. Bref, il semblerait donc que Sean Lewis nous dise que la provenance géographique a à la fois beaucoup et peu d’importance au fond, ce qui compte, c’est le destin commun qui lie les personnages du récit, malgré leurs différentes traditions et provenance géographique.

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Le propos principal est la traque des femmes et des jeunes filles par des monstres : des loups-garous qui les emportent et les dévorent sans merci. Derrière cette allégorie assez limpide, Sean Lewis nous propose une réflexion sur la condition féminine. Le loup, traditionnellement – reprenez le Petit Chaperon Rouge – représente la masculinité dévorante et oppressive, celle qui asservit, qui anéantit. Le conte permet de montrer les choses moins directement mais avec tout autant d’intensité. La femme, dans l’ouvrage, est présentée comme une proie, elle ne peut sortir seule dans la rue sans risquer la mort et ne jouit d’aucune liberté puisqu’au moindre écart, une meute assoiffée lui saute dessus. On devine sans peine les dessous de ce propos, notamment lorsqu’on connaît, en temps que femme, le sentiment d’insécurité permanente auquel on s’expose en se promenant seule. Sean Lewis présente plusieurs femmes et donc plusieurs attitudes face à cela : la résignation, l’insouciance et la rébellion.

Attention, on voit déjà poindre les raisonnements du style « évidemment, les hommes sont présentés comme des monstres et les femmes comme des héroïnes ». Pas tout à fait ! Sean Lewis évite l’écueil du manichéisme en présentant un personnage masculin positif en la personne de l’inspecteur Frank Coffey. Ce dernier évite soigneusement de se ranger aux côtés de la meute et ne subit donc pas son influence. Les personnages féminins sont également complexes : la jeune héroïne, Rouge, cherche sa propre voie après la disparition de sa sœur. Elle doit naviguer entre plusieurs courants féministes, celui représenté par les Abuelas, des vieilles femmes acharnées, que leur lutte a conduit à détester les hommes (qu’elles appellent « des choses ») et celui de Duchesse et des Victorias, plus moderne qui cherche d’abord le triomphe de la cause quitte à s’allier avec des hommes si nécessaire. Toutes ont cependant un objectif commun : cesser d’être des victimes, riposter en attaquant les loups et donc conquérir leur liberté, quel qu’en soit le prix.

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Le propos de Sean Lewis est extrêmement dense malgré son apparente limpidité. Il évoque tout aussi bien la condition féminine, le difficile passage à la puberté qui transforme les femmes en « morceaux de viande » pour les coyotes, que la condition des réfugiés vivant dans le dénuement et la peur des représailles policières ou racistes. Le titre renvoie à la fois aux cultures nord-américaines et à leurs racines européennes mais aussi à la culture hispanique et sud-américaine, l’auteur y ajoute même une pointe de vaudou dans un syncrétisme de bon aloi fort bien soutenu par le talent graphique de Caitlin Yarsky qui varie les atmosphères avec réussite. L’artiste met peu l’accent sur les décors sauf lorsqu’il s’agit de montrer le foisonnement des favelas ou de changer d’univers. Elle préfère se concentrer sur les personnages et leurs expressions et exerce une véritable science du mouvement s’apparentant parfois à de véritables chorégraphies lors des scènes de combat ou de fuite.

La langue et l’écriture de Sean Lewis sont d’une grande subtilité et peut parfois dérouter. On a soudain l’impression qu’il accélère son récit qu’il lance à vive allure tandis qu’il développe des pistes et des thématiques secondaires à d’autres moments. Il n’oublie pas d’égratigner le cynisme du genre humain, prêt à faire subir les pires tortures à ses semblables pour en tirer profit ou à des fins militaires. Tandis que les hommes se divisent, se cachent, se dissimulent, les femmes décident, malgré leurs divergences de lutter ensemble, y compris en s’alliant, malgré leurs divergences parfois flagrantes, et en faisant cause commune avec un ennemi avec lequel elles partagent un but – une allégorie de la convergence des luttes ? Lewis dénonce la concupiscence, la pédophilie et l’asservissement de la femme avec une hargne salutaire.

Alors, convaincus ?

L’écriture de Sean Lewis m’avait déjà convaincue dans The Few. L’auteur, malgré le caractère assumé de ses propos et de ses convictions, s’éloigne du simplisme. Il présente un monde en lutte où rien n’est simple, où toutes les causes se croisent et parfois peuvent se rejoindre dans un combat commun. Il tisse de nombreux fils qui peuvent parfois donner l’impression qu’il se perd pour mieux renouer les morceaux ensuite. Le propos est percutant tout autant que le dessin de Caitlin Yarsky. Coyotes est un titre engagé et l’on ne peut que se réjouir de sa publication par Hi Comics.

Sonia D.

 

3 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Blondin dit :

    Miam. Ça a l’air bien. Je le lis cette semaine et vous donne mon avis aussi!

    J’aime

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