[review] DCeased

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L’avis de Thomas Savidan

Après la fin de Walking Dead chroniquée par Sonia, notre site continue à s’intéresser aux mangeurs de chair humaine avec ce récit complet qui m’a, au départ, surtout attiré pour le dessinateur mais aussi les retours positifs nombreux.

Un résumé pour la route

DCsead_1Ce titre rassemble les épisodes DCeased 1 à 6 et DCeased: A Good Day To Die 1 publiés par DC Comics entre mai et octobre 2019 puis traduits en France par Urban comics en février 2020. L’ensemble est scénarisé par Tom Taylor (X-Men Red, All-New Wolverine), dessiné principalement par Trevor Hairsine (Divinity, X-O Manowar) avec James Harren (Rumble, B.P.R.D. Hell On Earth), Richard Friend (Madame Xanadu, Wetworks), Trevor Scott, Neil Edwards (Shadowman, Fantastic Four) ainsi que Laura Braga (Bombshells, Witchblade) et Darick Robertson (Transmetropolitan, Harbinger Renegade) pour DCeased: A Good Day To Die. Hairsine est encré par Stefano Gaudiano Les couleurs sont de Rain Beredo.

La Justice League vient de battre Darkseid qui est obligé de rentrer sur sa planète Apokolips mais dans un dernier message, il affirme avoir gagné. Batman comprend le piège : ce combat n’était qu’un leurre pour enlever Cyborg.

On en dit quoi sur Comics have the Power ?

Comme le nom l’indique (DCD), DCeased est un récit sur la mort. La peur s’installe dès les premières pages. Comme souvent dans les comics, Cyborg fait prisonnier sur Apokolips ironise sur sa situation mais, sous les ordres de Darkseid, le tortionnaire Desaad lui arrache la langue. L’ambiance inquiétante est donc rapidement posée : le tyran est prêt à tout pour trouver l’équation d’anti-vie qui se trouverait quelque part dans les circuits du héros. Pour la récupérer, le chef d’Apokolips utilise le Pisteur noir. Cependant, lors de l’opération, l’équation est contaminée par l’ajout d’un morceau de mort venu du Pisteur. Cet apport provoque une réaction en chaîne : Darkseid contaminé détruit sa planète et Cyborg, se téléportant sur Terre, se connecte automatiquement au réseau et diffuse ainsi l’équation dans le monde entier. Metropolis est ravagée en premier. Tel un virus, les malades deviennent fous et dévorent les passants. L’anarchie est montrée classiquement par des scènes d’émeutes urbaines dans la rue mais, étrangement, il n’y a que des hommes au départ. Le scénariste Tom Taylor ne m’avait pas entièrement convaincu dans Injustice mais il réalise un bon récit de genre. Il fait un léger pas de côté par rapport au thème des zombies. Le virus ne pousse pas les contaminés à se nourrir d’êtres humains mais il propage la mort. Dans le deuxième épisode, le virus s’étend sur les continents mais aussi dans les océans – Aquaman est tué par des marins sur un bateau.

Logiquement le virus touchant les super-héros son impact est plus destructeur que quelques massacres. Captain Atom détruit un vaste territoire de Washington à Metropolis car Wonder Woman et Superman échouent à l’évacuer avant son explosion. En effet, Taylor multiplie les confrontations variées de nombreux héros au virus. Le texte bien écrit est dans un registre mixte entre le film catastrophe et le film d’horreur même si, au départ, on ne sait pas trop qui parle en voix off. La J.L.A. avait planifié le protocole épidémie B où Atom explore le corps d’une contaminée. Mais à chaque fois que les héros pensent trouver une solution, une surprise arrive : le Limier martien contamine Barry Allen qui, par son pouvoir, relance l’épidémie. On suit en parallèle les héros voulant sauver l’humanité et Harley Quinn avec Poison Ivy essayant de survivre. Ces actions créent deux refuges pour l’humanité : l’île des Amazones et Gotham, cerné par un mur de la mort végétal créé par Poison Ivy. Le scénariste sait très bien terminer les récits comme le cliffhanger du premier épisode où Bruce Wayne est tué par ses fils Dick Grayson et Red Robin. Comme un film d’horreur, la fin est surprenante. Au milieu du volume, l’Interlude DCeased A Good Day to Die, Mister Miracle, un génie des sciences, est perdu cherche de l’aide auprès d’un groupe de héros – Mr. Terrific, Mister Miracle et Barda puis Booster Gold et Blue Beetle. Dans l’échec, ils font appel à la magie de Constantine. Cette partie se veut plus sanglante et dramatique mais il y a trop de blagues et le dessin est trop cartoony pour faire peur. Taylor n’est pas féru d’horreur mais il a voulu à travers ce genre s’intéresser aux émotions et aux conséquences des actes. En effet, DCeased est aussi un récit aussi sur les relations entre les gens, entre amis, au sein de la famille mais par internet. Tout est vicié par le virus en particulier dans les familles des héros. Alfred tue son fils et Superman emprisonne son père.

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Superman, adoré par Tom Taylor, est le personnage principal de ce récit. Alors que le scénariste avait fait de lui l’ennemi dans Injustice, il représente ici l’espoir Tout le monde se rassemble autour de lui. Contrairement à Batman, Superman garde sa ligne de conduite morale comme lorsqu’il refuse d’achever Giganta. Cependant, au fil de l’effondrement de la société, il se trouve impuissant. En effet, sa faiblesse est son attachement pour ses proches. Il ira très loin pour tenter de sauver la planète et refuge d’envisager la fuite de la Terre alors que Luthor prépare des arches spatiales. Cyborg est un autre héros clef du récit.

La très bonne introduction retrace l’origine du projet. L’éditeur Ben Abernathy propose de malmener les héros DC avec un virus venu de Cyborg par le Pisteur noir du Quatrième monde de Kirby. Ce virus se diffuse par contact physique et par internet. En effet, la toile est le véritable super-vilain :  Superman sauve Damian Wayne, Jon son fils et Lois Lane en détruisant le portable et la télévision car le virus se diffuse par tous les écrans. En éteignant internet, les héros prennent conscience de leur dépendance. Je trouve ce sujet très actuel à l’heure du cyber harcèlement, des théories du complot et de la cyber criminalité.

Le scénariste est un fan de D.C. et il connaît les ressorts des principaux héros. Toujours prêt à tout, Batman a placé un mouchard sur le logiciel de Cyborg. Sa solution est comme toujours radicale : annihiler internet et tuer les gens contaminés. Tom Taylor saisit aussi très bien l’ironie mordante de Constantine qui refuse d’aider avant de finalement céder à l’appel de l’héroïsme. Le scénariste fait des clins d’œil à l’histoire de D.C. Le début sur Apokolips avec aussi Mister Miracle et Big Barda fait forcément penser au Quatrième monde. On retrouve le duo Green Arrow avec Green Lantern en camping dans la forêt accompagnés de Black Canary. Mais la passion de Taylor ne l’empêche pas pour autant de bousculer les archétypes. Cette prise de risque réussie déstabilise les lecteurs comme lors de la mort de Batman dès le premier épisode. Plus loin, l’imperturbable Alfred bombarde les zombies pour compenser la perte de sa famille. Ce récit me semble une bonne porte d’entrée qui présente les personnages et, de plus, elle donne envie d’en découvrir plus. Taylor profite d’une série dans un univers parallèle pour donner sa vision de l’univers D.C. On croise les Birds of Prey originaux en zombies. Explicitement en couple avec Poison Ivy, Harley Quinn vient affirmer son autonomie au Joker et se venge de cette ancienne relation toxique en tuant le Joker zombifié. L’arrivée du virus modifie la continuité car Damian devient Batman alors que Luthor et Superman s’allient pour résoudre la crise.

Contrairement à des récits plus anciens, les femmes sont plus présentes. Black Canary ayant tué Hal Jordan contaminé, elle devient la nouvelle Green Lantern. Méra, la seule survivante d’Atlantis, va se réfugier à Themyscira.

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J’adore le dessin de Trevor Hairsine chez Valiant et j’avais hâte de voir ce qu’il ferait avec des personnages connus de tous. Le dessinateur anglais n’hésite pas à montrer des images gores : Cyborg à travers le trou qu’il a fait dans le crâne d’une géante. J’ai pris plaisir à retrouver des corps moins massifs et les visages fermés. Le style d’Hairsine est aussi reconnaissable par sa mise en page horizontale. James Harren s’occupe de la partie sur Apokolips et réussit très bien à lancer ce récit d’apocalypse dans sa représentation la destruction d’Apokolips. Son dessin proche d’Hairsine mais plus cartoony contraste avec l’image de Cyborg crucifié tel un saint. Au fond de la case, les architectures technologiques rappellent Kirby. Il sait faire réfléchir le lecteur quand Desaad arrache hors champs la langue de Cyborg. Darick Robertson ne dessine qu’une page où le magicien anglais fuit derrière une marée de zombies mais c’est superbe. Cette ambiance sombre est renforcée par les couvertures très glauques de Ben Oliver. Urban réalise également un beau travail d’édition avec des chapitres précis sur les équipes de créateurs et en bonus l’ensemble des très nombreuses couvertures variantes dont certaines sont inspirées par des films d’horreur.

Alors, convaincus ?

Je n’étais à priori pas fan du pitch qui surfait déjà sur le succès de Walking Dead et Marvel Zombies. Enfin, j’en ai ras le bol de voir les super-héros devenir des ennemis mais cette mini-série est une belle réussite. Le récit est fidèle au genre. La lecture est vive et ménage de nombreuses surprises sans être pour autant révolutionnaire. Tout cela m’incitera à jeter un coup d’œil sur la suite, DCesaed : Unkillables du même scénariste mais avec Karl Morstet et Trevor Scott aux dessins.

L’avis de Siegfried « Moyocoyani » Würtz 

DCeased : faut-il succomber au nouveau délire de Tom Taylor ?

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En 2005 commençait la grande saga des Marvel Zombies, succès de librairie complètement régressif dans les premiers fascicules desquels Robert Kirkman racontait l’épopée de super-héros emblématiques d’emblée zombifiés pour trouver de la nourriture – comprenez des encapés encore « vivants », de Magneto à Galactus. L’accueil du public était prévisible, : la Maison des idées jouait plus que jamais la carte de « l’univers alternatif dans lequel on peut faire ce qu’on veut », et aussi idiote que soit l’histoire, il était amusant de voir s’écharper au sens propre nos personnages favoris, ce qui avait donc donné lieu à une flopée de suites, tie-ins, reboots… jusqu’à aujourd’hui.

Dans une certaine mesure, le crossover Blackest Night pouvait être envisagé comme un délire similaire, mais c’est surtout après le Dark Multiverse que DC n’avait décidément plus aucune bonne raison de réaliser un DC Zombies avec lequel il flirtait déjà tellement. Ce sera DCeased, une histoire en six numéros publiée en 2019.

Le postulat en est plus sérieux, puisque Darkseid utilise Cyborg pour contaminer l’humanité via internet, et que l’histoire est donc cette fois racontée du point de vue des survivants tâchant d’éloigner leurs proches, puis les citoyens « ordinaires », des réseaux tout en évitant d’être eux-mêmes touchés et de devenir de la sorte des menaces pires encore que la horde d’infectés. Faudrait-il en avoir une interprétation politique ?

Le scénariste Tom Taylor adresse assurément une petite pique à ceux qui passeraient leur vie sur leurs écrans, au point que le premier fascicule est intitulé « Going Viral », assumant donc le parallèle entre les réseaux sociaux et la contagion. Il serait sans doute erroné d’y voir plus qu’une pique tant cette cause paraît prétexte et est vite oubliée, sans jamais assumer une dimension problématique de l’addiction au numérique.

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C’est que Taylor a d’autres priorités en vue, notamment celle de créer de la tension alors même que la Trinité – et même l’essentiel de la Justice League – fait partie des survivants. Dans ses premières pages, il parvient pourtant à exprimer l’horreur de la situation, de sorte que les interventions de Superman apportent une réelle lumière à un monde en crise, impliquant le lecteur plus que de raison dans une histoire que l’on attendait juste primitive.

Petit à petit, l’étau se resserre et les géants tombent dans des scènes souvent très efficaces. On a beau être dans un récit « tous les super-héros deviennent des zombies », on se demande comment Superman ou Batman pourraient succomber, et les auteurs sont attendus au tournant. Dans l’ensemble, les disparitions sont traitées de façon dramatiquement satisfaisante, jusqu’à offrir plusieurs très jolis moments d’humanité (entre Damian et Batman, entre Batman et Alfred, entre Clark et son père, avec Luthor)…

Taylor a ainsi curieusement la finesse d’éviter certaines facilités (pas de combat Batman contre Superman où l’un des deux serait un zombie et qui multiplierait les références à leurs combats antérieurs par exemple)… et de s’en autoriser d’au moins aussi énormes, qui font immédiatement sortir brutalement le lecteur du récit (par rapport à Superman, à Cyborg…).

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Si c’est un vrai problème, c’est que DCeased est bien meilleur que tout ce que l’on pouvait espérer. On peut bien entendu trouver les dessins et Trevor Hairsine et Stefano Gaudiano très inégaux, enfin ils offrent quelques très jolies images, voire quelques scènes épiques et émouvantes qui auraient été inimaginables avec le style adopté par Sean Philips pour le premier Marvel Zombies par exemple.

Taylor tente en effet de satisfaire notre désir régressif d’un monde DC zombifié tout en conférant une densité humaine et une tonalité douce-amère à son récit, et en s’attachant sincèrement à tous ses personnages, pour le coup si correctement écrits que j’ai beaucoup lu de commentaires demandant qu’on lui confie du Green Arrow, du Booster Gold, du Super Sons et même du Superman, l’opposant à King ou Bendis… à leur désavantage !

Il s’agissait alors de trouver un équilibre, et c’est probablement là que le bât blesse. Les six fascicules sont simplement trop courts pour porter le récit au niveau rêvé par Taylor, et au lieu d’une aventure close dans la précipitation, on découvre aux dernières planches que le volume ne fait qu’initier une nouvelle continuité parallèle.

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Plus précisément, la fin de DCeased laisse un goût d’inachevé et ne résout pas l’hétérogénéité du projet, et on regrette que Taylor et DC n’aient pas négocié un plus juste milieu entre ce format trop réduit et les longueurs d’Injustice. Puis on découvre les annonces de nombreuses autres publications venant étendre le DCeasedverse dans des directions très variées, au risque de la dissémination, de quelques chevauchements et de l’inégalité qualitative.

Est-ce une bonne chose ? Oui, parce que Tom Taylor a l’occasion de répéter ce qui avait fait le succès d’Injustice, un postulat simple dont on étudie les conséquences sur un univers potentiellement infini, non parce que ce premier DCeased aurait assurément été plus abouti s’il avait été pensé comme un one-shot, sans suites pour le « rattraper » et le « compléter ».

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Urban Comics a alors eu du nez en publiant le court DCeased : A Good Day to Die après la fausse conclusion de DCeased. Non seulement on ne vous fait ainsi pas croire que DCeased serait un récit clos, mais surtout… A Good Day to Die est un récit très sympathique autour de Mr. Terrific, Mister Miracle, Big Barda et Constantine notamment, preuve immédiate du potentiel du DCeasedverse.

Si vous n’avez pas encore lu DCeased et que cela vous intéresse encore après ce que Thomas et moi vous en avons dit, je vous recommanderais cependant d’attendre juillet pour céder, quand Urban publiera DCeased : Unkillables, un récit bien meilleur à mon avis en ce qu’il est bien plus homogène, bénéficiant des qualités d’écriture de Taylor sans les facilités du premier opus, et montrant sous un jour fidèle et pourtant inattendu les super-vilains pendant la crise avec ce qu’il reste de la Bat-Family.

En enchaînant toutes ces histoires, je ne doute pas une seconde que vous serez réellement séduits, investis dans cet univers curieux, et capables de mieux patienter pour la suite (y compris en passant outre les ratés de DCeased : Hope at World’s End) que si vous vous contentiez du seul Dceased.