Il en faut parfois peu pour me décider. UltraMega promettait de combats destructeurs entre des monstres géants et un protecteur tout aussi titanesque. Cela me suffisait pour le prendre. Mais qu’en est-il une fois que j’ai fini la lecture du tome un ?
Un résumé pour la route
James Harren (Rumble, DCeased) se charge de l’écriture et du dessin des épisodes un à quatre de la série UltraMega et UltraMega «interlude» dans Skybound X1 publiés aux Etats-Unis sous le label Skybound d’Image comics entre mars et juin 2021 puis en France en octobre 2022 chez Delcourt comics. Dave Stewart est le coloriste de l’ensemble.
La Terre est touchée par une épidémie cosmique transformant aléatoirement des individus ordinaires en kaiju, des monstres gigantesques et violents. Pour faire face à cette menace, un esprit cosmique a choisi trois héros et les dote de pouvoirs mais cette lutte ravage les villes et détruit leur mental.
On en dit quoi sur Comics have the power ?
UltraMega file à la vitesse d’un coup de poing de tokusatsu car James Harren ne perd pas de temps : dès la première page, on voit des individus banals se métamorphoser puis un seul épisode rallongé présente l’univers et les personnages. Les trois UltraMega ont déjà combattu et en ont déjà bavé. Stephen Meier est un enfant bien plus intelligent car il conçoit des robots mais, ayant été blessé lors d’une opération, il sert désormais à concevoir des armes pour l’armée. Ern est devenu un fou et a erré dans les rues avant de disparaître. Il ne reste qu’un porteur mais Jason est dépressif. Dès le départ, ancien boxeur pro devenu homme de ménage, il ne semblait pas bien vaillant. Nettoyant des toilettes, il a été remplacé par un robot. Depuis qu’il est un héros, il est encore plus déprimé par les conséquences de ses actes. Il sait que sa présence déclenche les métamorphoses des humains en kaiju. Ce n’est que le début car tout est bouleversé à la fin du premier épisode. J’ai alors adoré être plongé brusquement une décennie plus tard dans un monde postapocalyptique. On est du côté des exclus, de ceux qui pourraient devenir des kaijus mais se débrouillent malgré l’exclusion sociale et le développement d’un clan mafieux admirateur de kaijus. Harren n’explique pas tout et laisse planer le mystère sur l’épidémie cosmique. Les monstres doivent manger des humains pour grossir et devenir « un vaisseau de douleur pour leur reine » Lilith. Cette reine est liée au passé de Jason quand, pour l’unique fois, il a épargné un monstre. Leur rencontre se déroule dès le premier épisode et la conclusion est si surprenante qu’il est difficile d’en parler sans tout dévoiler. Chaque épisode se termine d’ailleurs par un cliffhanger mortel.

J’ai pris beaucoup de plaisir à voir UltraMega pousser plus loin les codes du super-héros. Tous les héros ne sortent pas d’un combat en entier ou vivant et, au début, il n’y a pas de héros. Très différents, les trois UltraMega ne forment pas une équipe. Ce sont des « pros » qui remplissent leur fonction. En effet, devenir un héros est une charge (que l’esprit d’Ern n’a pas supporté). De plus, ces porteurs de pouvoir sont laissés sans aucune aide car leur « créateur » n’a jamais plus parlé depuis le premier rêve. Plusieurs récits sont en lien avec une relation père-fils compliquée. Un père abandonne sa première famille avant de reconstruire un foyer puis de tuer involontairement sa seconde épouse. Un autre est mort devant son fils qui doit se construire seul. Les héros représentent un modèle parental de substitution tandis que les mères sont absentes ou méprisantes.
Je n’ai pu m’empêcher de déceler de nombreuses influences. Lors des combat, j’ai forcément pensé aux films de kaijus et de tokusatsu, des héros à costumes japonais. Par exemple, Jason prononce son nom de héros pour déclencher son pouvoir. On peut aussi faire la comparaison avec Big Girls ou Kaïjumax, la série de Zander Cannon qui s’intéressait au sort des kaïjus une fois qu’ils étaient battus. Le pitch de départ m’a fait penser au manga Rooster Fighter par l’épidémie et le rythme haletant. L’esprit cosmique jugé sur un œil d’Atum constellé de cristaux confiant les pouvoirs à trois terriens me rappelle les scénarios psychédélique de Jim Starlin. Cependant, James Harren se détache rapidement de ces influences (réelles ou supposée) en partie par ses magnifiques dessins. On passe d’une scène quotidienne devenue inquiétante sur plusieurs pages à une double page de combat. Effet Waow garanti ! Les monstres très divers évoquent des animaux : un crapaud, une anguille, un crabe… Le sang gicle, les membres se fissurent… De nombreux détails sont assez dégoutants et les traits donnent un côté sale au dessin. Le récit bascule dans l’horreur par ces détails sur les monstres mais aussi sur une morte qui parle puis vomit des vers. Cette représentation justifie l’avertissement pour lecteurs avertis en quatrième de couverture. Cependant je suis un cœur sensible et je pense que pour la plupart d’entre vous cette lecture sera moins dérangeante.

Harren montre les effets des combats. Non seulement les immeubles sont détruits mais les passants meurent en masse. Ensuite, le sang des créatures coule provoquant un raz-de-marée d’hémoglobine. L’auteur décrit même les effets économiques avec une explosion du chômage. Cette partie, la plus originale, analyse comment un seul combat peut faire basculer toute une société. Le ton est souvent sombre. Dans le futur devenu postapocalyptique, la morale est très lâche. L’espoir est souvent déçu et il faut parfois sacrifier certains au nom du groupe. Je crois même lire une critique de la religion. Les discours religieux tournent à vide. Les dieux sont dans un état pitoyable contrairement au diable. Le scénariste ne croit pas à un sauveur. Loin de faire gagner le bien, c’est même leur présence qui fait grandir le mal. Ce monde suinte la boue, la pauvreté et le sang. La colorisation participe à cette originalité. Il n’y a pas des teintes contrastées mais une tonalité verdâtre ou marron illustrant la dégradation économique et la médiocrité de la nouvelle société. Ce futur m’évoque paradoxalement des images du passé : les files de chômeurs dans les années 1930 tout comme les ouvriers avec leur boîte à lunch. Cette partie sombre et horrifique cohabite avec un humour absurde par les réactions impassibles du quidam tel un new-yorkais habitué à tout. James Harren insiste d’ailleurs sur le quotidien. Le premier combat commence dans un supermarché entre un héros en tongs portant une peluche et une femme enceinte. Ensuite, il appelle sa femme qui nourrit leur bébé.
Je n’ai pas vu l’édition américaine mais le livre proposé par Delcourt reproduit totalement l’ambiance et facilite le voyage. Le format agrandi est idéal pour le dessin blockbuster. Le titre reproduit l’effet d’un feutre comme un tag sur un mur. La trame de la couverture sont des tâches de couleurs tel un livre usé. Dans la première page, on voit l’artefact magique et une explosion d’énergie puis les crédits sur l’équipe créative me font penser au générique d’un blockbuster au cinéma.
Alors, convaincus ?
Dès les premières pages d’UltraMega, j’ai été embarquée dans une valse infernale entre horreur, humour dépressif et récit familial tordu. Dans la partie post-apocalyptique, les dialogues sont parfois difficiles à suivre mais il faut s’accrocher car l’univers proposé est très prometteur.