[interview] Jean-Michel Ferragatti, l’homme qui ressuscite l’âge d’or des super-héros

Si vous suivez régulièrement Comics have the Power, vous avez lu dernièrement notre review sur l’ouvrage de Jean-Michel Ferragatti, l’Histoire des Super-héros, sorti chez Neofelis éditions.

Nous avons voulu en savoir plus sur cet auteur et sa démarche, Jean-Michel a donc gentiment accepté de se prêter au jeu de l’interview. C’est parti !

Bonjour Jean-Michel, avant d’écrire l’histoire des super-héros, tu as du lire un bon nombre de comics ! Depuis quand lis-tu des comics, avec quels comics as-tu débuté ?

ferragatti_2Tout d’abord, merci à toi Sonia pour ton intérêt pour L’Histoire des Super-Héros et bonjour aux lecteurs de Comics have the Power !

Je lis des comics depuis que j’ai 7 ans et j’en ai donc lu en effet un certain nombre. J’ai commencé avec le Strange n° 11 que m’a prêté une voisine de mon âge qui l’avait pris dans la collection de ses frères aînés.

Les premiers comics que j’ai achetés étaient le Strange n° 99 & le Spécial Strange n° 11.

Ton ouvrage porte sur l’âge d’or, est-ce par souci de chronologie ou parce que tu as des affinités particulières avec cette période ?

Un peu des deux. J’ai développé au cours des années une attirance assez importante pour les personnages et histoires de cette période. Premièrement parce qu’elle a façonnée les comics tels qu’ils sont maintenant (ou l’étaient quand j’ai commencé) à les lire. Egalement parce que certains de mes auteurs favoris sont revenus dessus, comme Roy Thomas avec le All-Star Squadron & The Invaders, James Robinson avec Starman, JMS avec The Twelve et tellement d’autres. Je trouve que ces « vieux » personnages donnent une profondeur inégalée aux univers partagés et leur relatif oubli permet aux scénaristes de donner libre cours au meilleur d’eux-mêmes (et rarement au pire).

Deuxièmement, parce qu’ils ont conservé une fraîcheur et ce que les Américains appellent le « sense of wonder » et me procure une meilleure expérience de lecture que malheureusement beaucoup des comics modernes.

Enfin, il était plus pratique de commencer par cette période qui présentait aussi l’immense avantage de n’avoir quasiment jamais été traitée et certainement pas avec un ouvrage de cette « ambition » et de cette diffusion.

Te définirais-tu comme un historien des comics ?

ferragatti_1D’une certaine manière. En américain, je me présente comme un « scholar », ce qui signifie un érudit. Quelqu’un qui ne possède pas les diplômes universitaires de la matière qu’il étudie (je n’ai pas de diplôme de lettres ou d’histoire) mais réalise des études avec une certaine rigueur scientifique.

Je ne suis pas sûr qu’il y ait d’équivalent en français où souvent le fait de ne pas avoir le diplôme correspondant à la matière te disqualifie aux yeux de beaucoup de « professionnels ».

Au vu de la période étudiée et notamment la Seconde Guerre mondiale, certaines publications devaient être difficiles à trouver ? A partir de quelles archives, de quelle documentation as-tu travaillé ?

J’ai travaillé avec ma propre collection qui rassemble plus de 13.000 publications françaises comportant des aventures de super-héros (cela te donne une petite idée du nombre de comics que j’ai lus). Pour les quelques manques, j’ai trouvé de l’aide auprès de quelques collectionneurs et spécialistes comme Andrea Garrone, Eric Vignolles et Jean Depelley.

Mais la quasi-totalité de la matière première se trouve dans ma bibliothèque et m’a permis de fournir là aussi la quasi-totalité des illustrations françaises du livre.

Il est également compliqué apparemment de retrouver les super-héros américains parmi leurs copies européennes, comment réussir à se retrouver au milieu de tout ceci ?

Il y a tout de même eu quelques études et publications (notamment le Giff-Wiff, Hop, le Collectionneur de BD & Golden Color en fanzines) et les échanges avec les collectionneurs et spécialistes ainsi que les bouquinistes spécialisés m’ont beaucoup aidé. Des fois, c’est tout simplement la chance. Le fait que seulement quelques maisons d’éditions éditaient des super-héros permet d’orienter les recherches. Ce qui rend d’autant plus précieuses les trouvailles ailleurs que sur ces sentiers battus !

Si tu avais trois super-héros préférés de cet âge d’or, lesquels citerais-tu et pourquoi ?

ferragatti_3La colle ! Tout d’abord je citerais les personnages de l’éditeur Centaur pour plein de raisons mais maintenant avant tout car je porte un projet éditorial de renaissance de cet univers avec plusieurs artistes (Marti, Reed Man & Jean-Marie Minguez).

Plus spécifiquement dans ces personnages The Eye, le personnage le plus étrange de l’histoire du comic field ! et The Clock car c’est le premier héros masqué de l’histoire.

Cela en fait déjà deux ! Pour le troisième je dirais Blue Beetle pour son histoire éditoriale très atypique, sa longévité incroyable et son coté un peu « looser » qui me plait beaucoup.

Tu évoques bien sûr la censure et la fameuse commission créée en 1949, as-tu pu creuser un peu le sujet et comprendre quels étaient les enjeux de cette censure sur les comics (et sur la bande dessinée de manière plus générale) ?

Le sujet a été déjà pas mal creusé et notamment par notre spécialiste national, Bernard Joubert. Donc, je n’ai fait que reprendre ces travaux ainsi que des témoignages d’époque des éditeurs dispersés dans pas mal de fanzines.

Les enjeux étaient avant tout économiques et protectionnistes et assez bizarrement dans un deuxième temps moralistes.

La commission de censure était dominée par les représentants des éditeurs catholiques (Bayard, etc.) et communistes (Vaillant), ce qui a été appelé l’alliance bleue & rouge.

Les deux groupes de presse défendaient avant tout leur hégémonie économique sur le secteur. Ils étaient soutenus par le syndicat des dessinateurs de presse qui voulaient protéger le secteur du déferlement des productions étrangères qui auraient selon eux privé de travail les dessinateurs nationaux.

Il y avait également un fond de racisme qui s’exprimait à l’encontre de Cino Del Duca qui était italien et Paul Winckler qui était hongrois. Leur réussite professionnelle suscitait beaucoup de jalousie.

Enfin, il y avait des motivations idéologiques. Les communistes ne voulaient pas de productions capitalistes ! (américaines donc) et les religieux pareillement mais pour d’autres raisons (la violence, les super pouvoirs en contradiction avec les écritures), etc.

Sans oublier les injonctions morales relatives à la protection des enfants comme il y en avait aussi aux Etats-Unis et au Canada.

La préface de Xavier Fournier le dit mais peux-tu nous dire pourquoi, pour toi, il est important de connaître l’histoire des comics ? Est-ce indispensable pour les apprécier ?

Indispensable, je ne suis pas sûr. Utile certainement. Premièrement parce que les super-héros sont des univers où la continuité est importante. Connaître l’histoire d’un personnage est un plus à mon avis. Et connaître l’histoire de sa création permet de mieux comprendre le personnage.

Et puis, connaître tout le contexte culturel, historique permet aussi de mieux appréhender les histoires y compris actuelles.

Enfin, pour la culture d’un « honnête homme », s’intéresser à cette histoire qui a façonné le phénomène médiatique de ces dernières années avec les blockbusters récents me paraît intéressant. Nombre de lecteur qui ne sont pas nécessairement des fondus de comics m’ont dit que le livre leur avait beaucoup plu car c’était un livre sur l’Histoire (avec un H majuscule) au travers de celle des comics.

Comment s’est passé l’écriture de cet ouvrage, le choix de l’éditeur ?

ferragattiL’écriture du livre s’est basée sur des travaux préalables. D’abord celui de mon fanzine Continuum puis de ma chronique French Collection sur le site internet de Comic Box.

A un moment suite aux demandes répétées des lecteurs, j’ai fait un premier jet qui compilait les 81 premières chroniques. Sur les conseils de Xavier Fournier, j’ai été le présenter à un éditeur, filiale d’un grand groupe d’édition, en devenir à l’époque, mais qui a malheureusement décliné l’ouvrage.

J’ai, plusieurs années après, acheté le premier tome de la biographie de Jack Kirby chez Neofelis et envoyer un mail de félicitations pour ce superbe travail. J’ai également indiqué que j’avais moi aussi un livre quasi finalisé sur l’histoire des comics. Frédéric Stokman m’a répondu en me demandant de lui envoyer le tapuscrit.

Il m’a ensuite proposé de l’éditer. Mais il y a d’abord eu une phase importante de relecture qui a enrichi le livre grâce à Céline Balzani.

Après l’âge d’or, vas-tu explorer la période suivante, celle qui a vu les super-héros envahir nos kiosques ?

Un tome 2 a été annoncé sur l’âge d’argent. Un premier jet a déjà été rédigé et il y a eu un petit ajustement éditorial sur la période. Il sera consacré aux années 1962 à 1969.

Mais, du fait du planning de travail des Editions Neofelis, il ne sortira sans doute qu’en 2018 et pas comme annoncé en 2017.

As-tu bon espoir que des publications remettent l’âge d’or au goût du jour ?

Les rééditions du Golden Age, c’est toujours compliqué. Il y en a toujours un peu dans les grosses anthologies d’un personnage DC chez Urban. C’est toujours très sympa. Mais plus, cela paraît un peu compliqué chez un éditeur ayant pignon sur rue. Après, tu en as un peu chez des très petits éditeurs comme Organic Comix, JFC Comics (bien que cela fasse longtemps qu’il n’a rien sorti) l’association Arcadia Graphic Studio et pour les plus aventureux Vortex Comics et la « galaxie d’Agostino ». Et allez, je me fais un peu d’autopromotion, il y a 4 épisodes du Golden Age de Centaur Publications dans le tome que j’édite chez FG Productions et qui s’appelle Centaur Chronicles.

Que penses-tu du monde des comics de 2017, tu en lis ? Qu’est-ce que tu aimes et qu’est-ce que tu n’aimes pas ?

J’en lis toujours énormément. Mais première remarque c’est que moi qui ait été « élevé » à Marvel je m’en détache de plus en plus car je trouve l’univers de plus en plus illisible même s’il y a encore beaucoup de choses excellentes mais à mon avis encore plus de choses de peu d’intérêt (voir carrément mauvaises). Je suis aussi fatigué des reboots incessants, des événements (crossovers, etc) à répétition, des morts dont tout le monde sait qu’elles ne seront pas définitives, et des relances permanentes pour afficher des nouveaux numéros 1.

ferragatti_4Je reste bizarrement bien plus attaché à l’univers DC bien que certaines relances des dernières années m’ont laissé dubitatif. Je trouve que le caractère d’icône des personnages DC leur confèrent un côté intemporel qui les désavantageaient à la grande époque de Marvel mais maintenant leur donne un charme très attractif.

A l’inverse, le côté très en prise avec la réalité des personnages de Marvel qui faisaient merveille dans les années 70 à 90 est devenu un vrai désavantage car le statu quo éditorial Marvel fait qu’ils sont de plus en plus en décalage.

Enfin, je vais sur pas mal de comics indépendants avec des continuités moins lourdes et des expériences de lecture très intéressantes. Les scénaristes sont ainsi capables de créer en très peu de temps un univers partagé très profond soit en réutilisant de vieux personnages du golden age soit en utilisant des archétypes des personnages célèbres. Et puis il y a les comics indépendants complètement « originaux » qui ont aussi de très belles réussites !

Donc, je pense que je ne suis pas prêt d’arrêter de lire de comics et d’en aimer beaucoup.

Quelles sont les dernières lectures qui t’ont enthousiasmé ?

Il faut savoir que j’ai arrêté Marvel / Panini à la fin de Secret Wars. Le nouveau relaunch m’a tué ! Donc, pour Marvel, je ne lis plus que ce qui attire mon œil en librairie et un peu kiosque. Donc, rien d’enthousiasmant chez Marvel mais des trucs marrants (un peu guilty pleasure) comme le Spider-Man Universe #3 avec la saga Web Warriors et ce qui a été publié dans Marvel Saga avec Ant-Man (bien que très loin de mes souvenirs de la saga avec Hank Pym dessinée par Gil Kane). Par contre, je me relis des vieux trucs et Fury par Garth Ennis c’est toujours une claque ! Chez DC, il y a beaucoup plus de choses qui m’enthousiasment (et il faut dire que je continue à acheter le kiosque). Donc récemment le run de Justice League en cours est excellent. Batman aussi et Superman peut-être un peu en retrait. J’ai adoré les derniers albums de Wonder Woman (et non je ne dis pas cela pour juste te faire plaisir 😉 ). Injustice c’est aussi exceptionnel ! L’album récent des Secret Six (avec Deadshoot) est super aussi ainsi que l’album de réédition de la Suicide Squad.

En indépendant, j’ai bien aimé The Escapist, adoré Airboy et Archer  & Armstrong. J’ai aussi lu tous les X-Files sortis chez Glénat et en tant que fan de la série j’ai trouvé cela super. Pour les fans de Lovecraft je recommande Les rêves dans la maison de la sorcière et Lovecraft chez Akileos (un peu moins comics) et pour ceux de James Bond, celui de Warren Ellis chez Delcourt.
Enfin, pensons aux très petits éditeurs avec Les Aventures d’Ultra-Chômeur (au minimum pour Ramona Fradon), Futura & Strangers !

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