[Review] The Nice House on the Lake (tome 1)

Tout est parti d’une invitation. J’ai vu que les deux artistes de cette mini-série venaient sur Paris. Voulant obtenir une dédicace, j’en ai profité pour visiter The Nice House on the Lake et me poser une question hélas parfois actuelle : que ferais-je si je pouvais échapper à l’apocalypse avec des inconnus ?

Un résumé pour la route

Ce tome regroupe les six premiers épisodes de The Nice House on the Lake publié aux Etats-Unis par DC comics entre août 2021 et janvier 2022. Cette histoire est écrite par James Tynion IV (The Department of TruthJoker), dessinée et encrée par Alvaro Martinez Bueno (Justice League DarkDetective Comics) puis colorisée par Jordie Bellaire (RebelsLa Vision). Ce tome est sorti chez Urban comics le 3 février 2023.

Au départ, un groupe de onze personnes est invité par un ami commun, Walter, dans une magnifique maison près d’un lac. Cependant, le rêve s’effondre quand Walter révèle que ces élus sont les seuls à survivre à l’apocalypse. Ce groupe doit désormais cohabiter mais comment vont-ils gérer cette situation ?

On en dit quoi sur Comics have the power ?

J’ai un rapport ambivalent avec James Tynion IV. Je l’ai découvert sur Batman sans être convaincu. Pourtant, j’ai été impressionné par sa série en indépendant, Something is Killing the Children. J’avais donc beaucoup d’attente et je n’ai pas été déçu. The Nice House on the Lakes’inscrit dans le meilleur genre du scénariste : l’horreur. Walter a fait venir des personnalités des quatre coins du pays. Un texte permet au lecteur de comprendre leur métier, quand et pourquoi ils ont été recrutés. Bien qu’il existe des liens entre eux (certains se fréquentant depuis le lycée), la plupart se connaît mal. Leur seul point commun est d’avoir rencontré le mystérieux Walter. Cependant, dès la première nuit, l’artiste découvre sur les réseaux sociaux que, tel un châtiment divin, le ciel prend feu et carbonise toute créature. Le lecteur est moins surpris que les personnages. On avait eu un avant-goût dans l’introduction quand une combattante dans un paysage en ruine parlait directement au lecteur. Ryan Cane se souvient d’une rencontre dans un bar avec un homme discret mais attentif aux paroles des autres qui lui demande comment elle imagine la fin du monde. Des éléments lient ce futur et notre présent : la même colorisation bleu clair, un masque chirurgical, un symbole détruit dans le futur mais intact devant la maison…

A la suite de l’annonce de l’apocalypse, un groupe se forme. The Nice House on the Lake devient alors un récit sur la vie en société et pose une question : comment vivre avec les autres ? L’orientation sexuelle n’est pas un souci. La composition du groupe reflète une vision ouverte avec une transsexuelle, un couple homo… Ces LGBT sont aussi bien le démoniaque Walter que ses victimes. L’ambiance se tend sous la pression de l’apocalypse extérieur. Les dialogues ciselés creusent à la fois la psyché des personnages et la complexité de la situation. Chacun réagit différemment en fonction de son caractère ou de sa stratégie. J’ai bêtement pensé à la téléréalité. Certains s’accommodent de la fin du monde, d’autres refusent et s’enfoncent dans une profonde dépression. Un autre s’amuse tandis qu’un dernier explore les lieux pour trouver une solution. On peut voir dans cette partie une réflexion sur les attitudes face à la crise écologique réelle : faut-il attendre ou agir ? Cela change au chapitre cinq où la plupart des invités partagent leurs informations et leurs secrets pour comprendre la situation. Contrairement à un récit d’horreur, les marionnettes ont une marge de manœuvre. En sortant de la programmation – en agissant ensemble et en usant de leur libre arbitre – ils modifient le plan de Walter.

La série intègrent de nombreuses références littéraires et cinématographiques. Dès les premières pages, le scénariste nous plonge dans structure très sérielle. A chaque chapitre, une double-page récurrente annonce le titre. Ce groupe d’amis new-yorkais m’évoquent les romans de Jay McInerney. Un monolithe rappelle 2001, l’odyssée de l’espace. Une image d’un survivant près d’un port délabrée vient d’Apocalypse Now. Dans la bibliothèque, le scénariste et le dessinateur s’amusent à ajouter leurs références. J’ai surtout retrouvé avec un angoissant plaisir les codes des maisons hantées et des romans comme Ils étaient dix d’Agatha Christie quand les invités se retrouvent emprisonnés dans un cadre idyllique devenant une prison de luxe. Ce manoir ressemble ici à la maison sur la cascade de l’architecte américain Frank Lloyd Wright. Le cadre recèle de nombreux secrets. Des pièces secrètes se découvrent et la nourriture arrive sans que l’on voie le livreur. En la touchant, une statue permet de visualiser l’effondrement du monde extérieur. Pourtant, les élus vivent tous dehors dans le futur. On retrouve également les thèmes récurrents de James Tynion IV. Dans les pages sur les réseaux sociaux, on croise des sceptiques et des complotistes de The Department of Truth. Le scénariste est également ouvert sur les expérimentation de ses contemporains. Comme dans House of X, des symboles apparaissent et correspondent à la profession des invités.

Si les différents aspects du scénario m’ont plu, c’est au départ le dessin qui m’a conquis. Je connais très mal Alvaro Martinez Bueno mais il me semble qu’il avait auparavant un style classique. Ce n’est plus le cas ici. On est entre la précision photographique et le trait volontairement inachevé. Malgré la situation, chaque personnage demeure élégant et impressionnant (sauf une invitée sombrant dans la dépression). J’ai pensé à des croquis de mode ou au tout aussi talentueux Sean Phillips. J’ai parfois cru que Martinez Bueno utilisait des collage tant les styles varient et les effets se juxtaposent. En effet, au fil des pages, on voit des extraits de réseaux sociaux, des pages manuscrites d’un dialogue transcrit, des fausses photos, des listes de course… En fait, tout vient de son crayon. Le dessinateur ajoute des effets graphiques : dans un souvenir, des cercles défigurent un visage car David le comique a oublié un personnage. Martinez Bueno s’encre lui-même ce qui est totalement logique car, les formes étant laissées floues, c’est l’encrage qui dessine les expressions. Ce grandiose dessin est mis en valeur par le grand format. Urban va même jusqu’à proposer un signet. La coloriste Jordie Bellaire m’impressionne également. On trouve une colorisation brute par bloc de couleur comme Jacob Phillips mais Bellaire transmet une ambiance par un ton sur toute la page avant de créer une subtile rupture dans un coin. Ce changement donne tout son sens à la scène : une fête aux couleurs vives devient un sinistre bleu clair quand les invités découvrent l’apocalypse.

Alors, convaincus ?

The Nice House on the Lake m’a convaincu du talent de James Tynion IV. Après la lecture de Clear, je ne peux que constater que l’élève a dépassé son maître Snyder. J’ai plongé dans cet univers angoissant mais aussi au milieu d’un groupe de survivants forcés de cohabiter sans pouvoir s’échapper. Il y a beaucoup de profondeur dans ce lac même si le scénariste aurait pu encore plus approfondir les personnages et la paranoïa collective générée par les secrets de chacun. C’est un détail et je m’en vais de ce pas lire la suite.
Vous pouvez d’ailleurs retrouver sur le site un article sur le tome deux.