[review – série] The Boys – fucking Superheroes

L’un des aspects les plus ridicules touchant aux univers de comics est la « facilité » avec laquelle tant de personnages acquièrent des capacités extraordinaires. On sait bien que ce n’est pas crédible. Pas seulement parce que c’est idiot, on est tout à fait dans le genre de gentilles idioties qu’on accepte comme postulat d’un univers fictionnel.

Surtout parce que si l’on pouvait acquérir des superpouvoirs suite à une exposition aux rayons gamma, une explosion de produits chimiques ou une morsure d’araignée radioactive, le gouvernement et des entreprises privées tenteraient aussitôt de dupliquer les résultats pour en tirer profit militairement et financièrement. Et si une entreprise privée y arrivait avant le gouvernement, ce qui est fort probable, on sait qu’on verrait les super-héros se multiplier pour être vendus aux villes, à la protection de particuliers, tentant de remplacer la police, les soldats, devenant incontournables dans le paysage médiatique, politique, commercial, intime.

Avec l’appui d’un bon storytelling, ils pourraient même être adulés, se faire une place dans tous les fantasmes, et s’avérer aussi rentables que populaires. Mais il y aurait des bavures, évidemment. On ne parvient pas à les éviter chez les hommes, comment pourrait-on les éviter chez des super-hommes, écrasés par les mille pressions s’exerçant naturellement sur des personnages moralement et psychologiquement communs aux responsabilités si hautes ? Un bon département légal et marketing devrait sauver la face, les erreurs devraient être enterrées, les mécontents marginalisés.

Or c’est exactement cette histoire criante de réalisme que raconte The Boys, avec ses super-héros névrosés et son groupe éponyme de mécontents, regroupés pour casser du super. Le comics de Garth Ennis et Darick Robertson avait fait sensation, et compte assurément avec The Authority parmi les réquisitoires les plus féroces jamais adressés aux personnages en collants depuis Watchmen. À une époque où tout ce qui fonctionne un peu est immédiatement envisagé sous la forme d’une série, il était alors naturel que l’on se penche sur ce sujet-là, particulièrement juteux au temps où quatre des dix films ayant amassé le plus d’argent depuis la naissance du cinéma (sans prendre en compte l’inflation) sont des productions super-héroïques des sept dernières années, toutes quatre issues des moules très hollywoodiens de Disney. Galvanisés par le succès de leur Preacher (également réputée inadaptable, adaptant également un comics d’Ennis), Seth Rogen et Evan Goldberg se tournent cette fois vers le showrunner Eric Kripke (Supernatural) et Amazon pour développer cette nouvelle série impertinente, conforme à leur réputation de « sales gosses », évidemment opportune pour porter un tel projet.

Bande annonce (cliquez dessus pour visionner !)

Regardez bien cette bande-annonce. La trouvez-vous bonne ? Estimez-vous qu’on y présente correctement l’univers dans lequel on va évoluer ? Qu’on y saisit vaguement qui sont les personnages, au-delà de leur nom abruptement balancé à l’écran ? Que le rythme en est propre à capter l’intérêt du spectateur ? Que le montage épileptique de scènes d’action en est impressionnant ? Que les dialogues en sont ciselés ? Probablement pas, mais vous vous dites aussi probablement qu’il s’agit d’une bande-annonce, qu’il y en a de très mauvaises pour de très bonnes œuvres. Elle me semble très représentative de la série, à commencer par ce qu’elle dit de la faiblesse de sa mise en scène.

Chacun des huit épisodes de la série est réalisé par un homme différent, à l’exception du sixième… parce qu’il est réalisé par une femme. Toutes ces personnes ont des CV très fournis par la multiplication d’épisodes tournés à droite à gauche, et même un long-métrage dont on a un peu parlé, 10 Cloverfield Lane, pour Dan Trachtenberg qui dirige le premier. Or de trois choses l’une. Soit on va constater une grande disparité de styles entre les épisodes, ce qui ne serait pas forcément un mal puisque cela prouverait la personnalité des auteurs et leur relative liberté à y donner cours. Soit on va constater une homogénéité d’une relative qualité parce que sous la supervision forte du showrunner et des producteurs les différences vont se soumettre à un louable impératif d’efficacité, voire d’ambition. Soit on n’aurait même pas deviné que les réalisateurs changent à chaque épisode tant le tout manque d’inspiration, à l’exception à peu près notable de quelques scènes.

Je ne vous ferai pas l’affront de vous dire laquelle de ces options a été choisie, c’est sans doute assez clair, et c’est fâcheux. Déjà bien sûr parce qu’une série qui ressort visuellement, qui flatte la rétine ou impressionne au moins par sa capacité à faire ressentir quelque chose dans sa photographie ou même son montage, est évidemment plus plaisante ou plus saisissante qu’une série qui ne saurait pas gérer son image ou son rythme. Mais surtout parce qu’en se moquant du MCU, The Boys ne cherche pas à proposer la moindre alternative esthétique. Sans demander à Amazon de mettre les moyens de Disney dans sa série, on pourrait du moins attendre des responsables créatifs de travailler sur la suggestion pour faire moins cheap. Or la solution pour pallier le manque de budget repose plus souvent sur un montage arbitraire d’images accompagnées d’une musique au mieux banale et de quelques litres d’hémoglobine pour les rares séquences d’action.

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Comme on peut le voir dans la bande-annonce, une certaine complaisance dans le gore tient lieu de mise en scène… et n’est curieusement même pas tant assumée que cela, puisqu’à part cliquer sur « balancer du sang » dans leur logiciel d’effets spéciaux, on n’arrive jamais à un stade où la violence serait gênante ou amusante. Pire, la montrer la déréalise davantage que quand elle pourrait être suggérée… Le trash est là pour l’argument commercial, parce que c’est trop drôle de mettre du rouge partout, mais il ne faudrait pas non plus faire peur aux jeunes spectateurs innocents… On reste en phase avec l’esprit « sales gosses » de Rogen et Goldberg, irrévérencieux sans audace, gentiment provocateur mais fuyant la subversion.

On pourrait rétorquer que la platitude visuelle colle aux tons dépassionnés du comics, volontairement plus proche de la froideur de Watchmen que de la ressacralisation nostalgique de Kingdom Come ou de la glorification constante d’un Jim Lee. Mais alors pourquoi tenter d’étranges effets de néons dans certaines scènes pour « faire esthétique » ? Et surtout, Robertson et ses successeurs avaient tout de même une certaine force iconographique, une capacité d’exprimer efficacement et immédiatement ce qu’ils souhaitaient exprimer, une conscience percutante de ce qu’il faut mettre dans les cases et de la manière dont il faut les faire se succéder, quoi que l’on pense par ailleurs de la qualité de leur dessin. J’avais consacré un court article aux seules deux premières pages du comics, qui pourtant n’ont l’air de rien. Aucune image de la série ne m’a donné le sentiment de raconter autant et si bien, alors qu’on n’était même pas face à un chef-d’œuvre de l’incipit.

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Et qu’importe si, à côté de rares scènes d’action satisfaisantes, on a de bons acteurs interprétant de bons personnages et livrant de bons dialogues, rattrapant par leur présence à l’écran l’attention fuyante du spectateur. Or The Boys peut compter sur un acteur/personnage magnétique en Anthony Starr (Banshee) qui y incarne Homelander, un Superman glaçant, séducteur avec la foule qu’il tente d’enrôler dans son projet démagogique de pouvoir, terrifiant avec ses alliés, une Justice League qu’il manipule avec intelligence, et au fond complètement déséquilibré émotionnellement et mentalement.

Les autres acteurs sont tout à fait compétents, mais sont loin d’être aussi inoubliables, en grande partie à cause de problèmes d’écriture flagrants, particulièrement dans des discours et dialogues parfois pénibles à entendre tant leur platitude frôle une certaine médiocrité. Les personnages qui les tiennent n’en paraissent que plus naïfs, ridicules, et la série y perd beaucoup de l’incisivité qu’elle revendique. Je ne suis ainsi pas sûr de comprendre pourquoi Karl Urban reçoit tant d’admiration pour son rôle du Butcher, sinon parce qu’il a depuis quelques temps droit aux faveurs du public en tant qu’« acteur geek ». Il ne campe d’ailleurs pas un mauvais Butcher, mais il lui manque la carrure, l’intelligence et le cynisme du personnage du comics pour fonctionner aussi bien, même avec le parti-pris assumé d’un personnage plus humain. Il en est moins impressionnant, moins légitime à embarquer une équipe dans ce qui apparaît comme une vendetta très personnelle, et pas vraiment plus profond – encore que le cliffhanger laisse enfin espérer un approfondissement dans la suite, on n’en dira évidemment pas plus.

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C’est que le choix créatif le plus intéressant de la série Amazon réside dans l’humanisation de l’ensemble de ses personnages, au lieu des archétypes du comics. Le manque d’empathie d’Ennis appartient même aux éléments que je lui reprocherais, puisque la longueur de ses Boys permet de développer son attaque féroce contre les super-héros et l’establishment dans une histoire prenante, sans aucun souci d’y apporter l’âme ou l’humanité qui la grandirait. Que Goldman, Kripke et Rogen divergent de l’œuvre originale sur ce point pouvait donc sembler vraiment bienvenu, même si l’on perdait de vue aussi le projet original, la métaphore du peuple contre les élites apparemment invincibles (ce qui justifiait justement l’intégration du comics dans mon corpus de thèse), évidemment incompatible dans une œuvre leur cherchant tant d’excuses. Ainsi le « héros » Hughie est-il plus actif en collaborant avec Butcher avant même que l’équipe soit (re)constituée, et si le recrutement des différents membres manque cruellement de relief, au moins cela permet-il de les découvrir d’emblée comme individus. Même « La Fille » a désormais droit à un nom, Kimiko, à une sous-intrigue particulièrement mal rythmée, et à un background original.

On découvre en effet par elle que Vought-American ne se contente pas de créer des super-héros artificiellement en laissant les gens (et les supers eux-mêmes) croire qu’ils détiennent ces pouvoirs depuis la naissance (voire grâce à un don de Dieu), mais suscite des « super-vilains » dans des contrées ennemies pour justifier que l’entreprise privée prenne part à des interventions militaires (et décroche de juteux contrats de défense). Je serais ainsi enclin à excuser l’abandon de la dimension directement politique du comics, même s’il faudra que cette idée connaisse une exploitation aussi satisfaisante que celle de la Maison Blanche chez Ennis pour que je n’y voie pas juste la frilosité d’une entreprise états-unienne vis-à-vis d’une institution qu’elle n’a aucun intérêt économique à ridiculiser. Pour l’heure, c’est assez mal parti, la série semblant simplement dédouaner Vaught en faisant peser sur le seul Homelander la responsabilité de ces fuites volontaires de Composé V, alors qu’elles semblaient si cohérentes avec ce que l’on avait déjà vu de l’entreprise.

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La difficulté des scénaristes à bien écrire les héros, couplée à cette humanisation des deux camps, aboutit cependant à un résultat qui n’était probablement pas celui escompté : on a beaucoup plus de plaisir à suivre les supers que les Boys. Train-A et The Deep ont ainsi droit à ce qui ressemble à un véritable arc, que l’on a envie de voir évoluer, tandis que Maeve dévoile timidement un potentiel dont on sait qu’il explosera bientôt et que Black Noir, du fait même qu’il est entièrement caché, pourrait réserver des surprises.

Je regrettais le Stillwell du comics, dont j’appréciais le fait qu’il était au début aussi inconnu du grand public que des P’tits gars, parfait représentant du cadre anonyme, agissant sans scrupules et dans l’ombre pour satisfaire les actionnaire. On perd cette subtilité en le faisant remplacer par la très médiatique Madelyn Stillwell, dont la gestion personnelle de la division des super-héros de Vought-American fait une caricature du patron prêt à tout. Force est cependant de constater que cela permet plusieurs moments intéressants de conversation avec ses clients et employés, dévoilant les coulisses de la communication très peu morale de l’entreprise dans quelques scènes presque savoureuses, et forcément trop courtes, ne sachant souvent pas se connecter à l’intrigue générale. « Presque » parce qu’il ne faudrait pas exagérer, les scénaristes montrent comme il le faut certaines dérives médiatiques du succès super-héroïque, mais sans brio ou trouvaille particulière.

Reste finalement la question complexe de ce que l’on peut espérer de la suite, et même de s’il faut en espérer quoi que ce soit. Si l’on n’est que dans une bouffonnerie aimable, mais pas si bien faite, est-il vraiment nécessaire d’y consacrer huit heures et plus encore dans les saisons à venir ? Personnellement, je la regarderai, davantage parce que je suis curieux de ce qui viendra après la conclusion surprenante du dernier épisode (qui prend une direction très différente des comics) que parce que j’espère le saisissement que le reste de la saison a échoué à me procurer. Je suis également refroidi par la rapidité avec laquelle l’action progresse. Garth Ennis prenait son temps en confrontant les Boys à de petites équipes pour qu’ils se fassent les dents, et ainsi introduire progressivement son univers aux lecteurs tout en laissant entendre que les Sept étaient tellement au-dessus du reste que tous ces préliminaires étaient nécessaires.

Or dans cette première saison, les petites équipes ne semblent même pas exister, l’attention des Boys est focalisée sur les seuls Sept, et les Sept en viennent même à s’intéresser très vite aux Boys, tellement qu’on ne sait pas trop ce qu’il restera à raconter dans la deuxième saison, alors dans une suite encore plus lointaine… On l’aura compris, je ne peux pas dire que je fais confiance à l’équipe derrière la série pour bien mener cette suite, mais j’en suis tout de même curieux. Après tout, pour la faire durer, il faudra bien introduire enfin des personnages secondaires, et même si cela risquera de paraître maladroit après huit épisodes où il n’en avait jamais été question, cela ne peut qu’enrichir l’univers proposé et donc la série.

En l’état, The Boys est plus irrévérencieux que drôle, et vise le divertissement plus que la critique – surtout chez Amazon, qui représente tout de même un certain capitalisme sans âme, alors qu’on sentait au moins chez Ennis une certaine hargne, non tant contre les super-héros que contre un certain type de super-héros commercial, impérialiste et omniprésent. En attendant une saison 2 qui sera peut-être l’occasion de revenir sur mon avis, je ne vois pas d’autre raison que potache pour regarder The Boys.

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Vous voulez une vraie remise en cause du super-héros ? Allez voir chez Alan Moore et certaines œuvres de Miller, parfois chez Ellis, vous aurez largement de quoi faire dans les classiques. Vous voulez que l’on casse du super ? Lisez le comics de Garth Ennis. Vous voulez regarder plutôt que tourner des pages, et idéalement quelque chose d’aussi caustique et « violent pour rire » que The Boys ? Deadpool  n’était pas si mal, et apportait déjà une certaine fraîcheur dans un climat culturel dominé par le MCU. Vous voulez une série de super-héros un peu violente, un peu plus sérieuse, clairement mieux réalisée ? En attendant Watchmen, Titans est tout à fait regardable. Vous voulez juste une bonne série ? Alors là vous n’avez vraiment aucune raison de regarder The Boys quand mille autres titres devraient avoir votre priorité. Même sur Prime Video, pourtant relativement avare pour l’instant (ils préparent Le Seigneur des Anneaux, c’est une bonne raison), Le Maître du Haut Château et Good Omens ont une personnalité et des aspérités avec lesquelles The Boys ne semble même pas chercher à rivaliser.

Siegfried « Moyocoyani » Würtz

5 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. MarionRusty dit :

    J’ai adoré le comics, qui est en effet d’un réalisme et d’une violence rare. Tous les monde me dit que c’est une bonne adaptation, je vais peut-être me lancer…

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    1. Moyocoyani dit :

      Pas tout à fait mon avis comme tu vois, mais je conçois entièrement qu’un débat aussi virulent (la série a quand même d’ardents et remarquables défenseurs) donne très envie de se faire un avis 🙂

      Aimé par 1 personne

  2. YRADON - YourReadingsAreDoomed...OrNot dit :

    A reblogué ceci sur YRADON – Your Readings Are Doomed…Or Not.

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