[Review] Arrowsmith (tome 2)

La guerre mondiale continue pour Arrowsmith. J’étais sortie de la lecture du premier volumetotalement séduit par cette dénonciation de la guerre. J’avais donc hâte de découvrir la suite car cet univers mêlant réalisme historique et heroic fantasy méritait largement de s’étendre.

Un résumé pour la route

Arrowsmith: Behind Enemy Lines est écrit par Kurt Buziek (MarvelsBatman créature de la nuit)et dessiné par Carlos Pacheco (X-MenCaptain Marvel). Ces six épisodes ont été publiés aux États-Unis par Image Comics entre janvier et juin 2022 puis en France sous cette forme le 3 avril 2024 chez Delcourt.

Durant une Première Guerre mondiale uchronique, Fletcher Arrowsmith, paysan américain est devenu membre des Unités d’Élite Aérienne. Il est envoyé en mission secrète en territoire ennemi pour trouver un mystérieux allié mais également empêcher l’Axe de détruire toute l’Europe.

On en dit quoi sur Comics have the power ?

Même s’il serait dommage de manquer le magnifique premier tomeKurt Buziek introduit dans les premières pages l’univers et le personnage principal si bien que l’on peut commencer par le deuxième volume. La première mini-série décrivait le parcours d’un idéaliste rêvant d’aventures guerrières à un soldat expérimenté mais désabusé. Fletcher Arrowsmith avait découvert la violence, la mort de proches et surtout la froideur de son état-major prêt à briser toutes les règles morales pour gagner la guerre. Il avait assisté à la mort de nombreuses victimes civiles et à la fuite des dieux germaniques. Ces expériences l’ont changé. Pourtant, je le retrouve en Gaule en mars 1916. Refusant d’abandonner ses frères d’armes, il prolonge son service militaire et, malgré les difficultés, il s’est habitué au quotidien de la caserne. Il faut dire qu’il n’est pas un poilu, mais un pilote dans l’Unité d’Élite Aérienne. Par sa connaissance, il est même promu chef d’équipe et envoyé en mission secrète derrière les lignes ennemis. Je découvre avec lui un nouveau champs de combat et je prends beaucoup de plaisir à suivre cette infiltration et sa mission d’espionnage : devoir trouver un contact, recueillir des informations, accepter un sacrifice au nom de la raison d’État, découvrir la résistance, faire des rencontres intimes sans lendemain…. Associé dans cette guerre secrète à un agent expérimenté, Fletcher réalise qu’il conserve des limites morales qu’il croyait avoir perdues. En parallèle, des femmes sont assassinées à Vienne. Les militaires pensent que ce sont des vampires.

Le scénario est très malin car on assiste d’abord à un échec militaire et Fletcher est fait prisonnier avant de comprendre que tout était prévu. Après le camp allié, je suis plongé chez l’ennemi car le scénariste garde les mots en allemand sans les traduire. Je découvre d’abord la vie d’un prisonnier de guerre. Le stalag est certes une prison, mais les conditions ne sont pas atroces. La société de la croix vient vérifier le respect de la convention de Genève. Ils correspondent à la Croix rouge dans notre monde mais sont habillés comme des croisés. Ceux qui ont vu des films sur les guerres mondiales retrouveront des lieux communs : les Allemands sont brutaux et prétentieux, des femmes esseulées sont prêtes à s’offrir à un inconnu. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les éléments historiques sont très nombreux. Des personnages historiques sont cités : Charlemagne, Barberousse et le mentor de Fletcher, Clarence Guy Gordon Haddon. Même visuellement, le baron noir allemand correspond à l’as allemand de l’aviation Manfred von Richthofen alias le baron rouge. Si les noms des régions ne sont pas contemporains de la Première Guerre mondiale (la double monarchie de Tyrol-Hongrie), ces toponymes ont bien existé à des époques précédentes, souvent au moyen âge. L’anglais est remplacé par l’albionais. On voit les zones de combat du ciel et la vie des fantassins est évoquée car Pierreux le golem fait partie du génie qui construit les tranchées. L’engagement tardif des Etats-Unis et son rôle espérée dans la victoire sont cités. En effet, bloqués dans les tranchées, chaque camps cherche des solutions pour percer. Dans le tome précédent, c’était la recherche d’armes nouvelles et ici la possibilité de nouer de nouvelles alliances. Pourtant, le rôle ambigu des pays neutres est montré par les trolls. La guerre peut être un moment d’ascension sociale pour des marginaux et un moment de croissance économique pour certains secteurs. Le rôle de l’arrière par les usines de guerre apparaît dans un dialogue et la disparition des lois sociales est soulignée. On voit une permission par le séjour de Fletcher à Londres. En voyant des affiches de propagande de l’Axe, Fletcher comprend que les arguments sont exactement les mêmes dans les deux camps. Il découvre la faim (en raison du blocus britannique dans notre réalité) et l’exploitation de certains groupes (des civils des régions occupés par les Allemands). Dans le stalag, son sort comme officier diffère de celui des hommes de troupe y compris en prison. Les Allemands gardent une vision très aristocratique de l’état-major.

Le rythme est moins rapide que le premier tome. On est davantage dans une expédition que dans un récit de guerre. Cela pourrait être préjudiciable, mais l’univers est si passionnant que je ne me suis pas ennuyé. Si le premier tome s’intéressait à la découverte de la guerre, Derrière les lignes ennemies se concentre sur la magie. Le héros a appris et découvre de nouveaux sorts. La magie est définie comme un rapport à la terre. Un individu possède un don magique spécifique selon son lieu de naissance et sa lignée. On pourrait y lire une vision restreinte de la nationalité par le droit du sang mais le scénariste ajoute le droit du sol. On peut ajouter des dons magiques en fonction des lieux où on vit. L’individu se trouve donc renforcé par son parcours de vie. On apprend la magie par la rencontre avec des personnes plus instruites mais aussi dans les rêves. Cependant, la magie n’est pas acceptée par tous car des chrétiens puritains s’y opposent. La relation de Fletcher avec son jeune dragon Hilda est décrite avec douceur comme un chevalier avec sa monture. Il part d’ailleurs pour sauver une princesse. L’empereur de Tyrol-Hongrie ne décide de rien mais confie la gestion de la guerre à un démon germanique. La quête de Fletcher et son compagnon les conduisent dans un royaume souterrain. Ces éléments d’heroic fantasy passent aussi par des références médiévalisantes à l’histoire (Charlemagne) et dans le dessin (les costumes des généraux de l’Air Command d’Albion). Ces rappels au passé permettent aussi de critiquer la construction d’un roman national éloigné de la réalité historique. Les deux artistes poussent la maniaquerie sur cette autre monde jusqu’à changer des titres de roman : Lord JamesLe chien des Dogville

J’étais d’emblée prévenu que la disparition brutale de Carlos Pacheco avait mis en pause le récit. Cependant, l’histoire reste excellente. Je me rends compte que le dernier épisode est paru quatre mois avant le décès de Pacheco, mais le dessin reste incroyable jusqu’à la dernière case. Cet homme était vraiment admirable ! Les cases sont magnifiquement précises et, sans aucun gadget visuel, il me permet d’imaginer un univers très riche. La mise en page est classique mais la lecture est très fluide. Le dessinateur espagnol possède un sens très efficace du cadrage pour créer de la tension lors des combats aériens. Il aime choisir de gros plans où les corps prennent une grande place. L’empereur de Tyrol-Hongrie est très proche de la réalité de François-Joseph. On peut également admirer les magnifiques couvertures alternatives dans la galerie.

Alors, convaincus ?

Derrière les lignes ennemies prolonge l’univers passionnant Arrowsmith en montrant l’autre camp et en proposant une mission d’espionnage. Fletcher est de nouveau un néophyte qui découvre la réalité de la guerre et qui voit davantage ses rêves moraux s’effondrer. La lecture est tout aussi passionnante que le premier tome même si le récit est pour l’instant inachevé.

2 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Alchimie des mots dit :

    très bon article comme toujours.

    un peu la douche froide, je n’ai pas cherché à me le procurer car la série n’est pas fini comme tu le dis.

    j’étais impressionné par les planches et le côté sombre de la guerre masqué par ses aspects féerique.

    Et ton résumé montre que cela est encore présent.

    merci pour le partage

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    1. thomassavidan dit :

      Merci beaucoup Alchimie. Honnêtement, l’absence de conclusion ne m’a pas dérangé. Tu as une conclusion temporaire en attendant la reprise de la série. Le scénariste veut continuer.

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