[Interview] Xavier Fournier, retour vers le Futur(oscope) et au-delà

Lors de la dernière interview par Sonia, nous en étions restés à la sortie prochaine de son livre Kirbysphere. Cependant, depuis cette date, l’actualité de Xavier Fournier a été si dense que j’avais très envie d’échanger à nouveau avec lui.

Comment as-tu vécu la sortie de Kirbysphere ?

Cette aventure m’a permis de rebondir après la période difficile de l’arrêt de Comic Box et d’autres problèmes personnels. Pourtant, ce livre est arrivé par accident. Après un vol d’ordinateur, j’avais perdu une partie d’un manuscrit sur lequel je bossais. J’ai voulu passer à autre chose. En regardant sur mes disques durs, j’avais la matière pour Kirbysphere alors que je m’étais promis de ne pas toucher à Kirby avant des années. Deux ou trois jours avant de lancer le financement participatif, Jean-Christophe Caurette m’annonce qu’il pourra éditer le livre. En cours de la rédaction, j’ai réalisé que j’avais plus de texte que prévu et Caurette a rajouté des pages. L’écrasante majorité de mes partenaires sont des gens passionnés qui me soutiennent. C’est important quand tu bosses sur des projets solitaires prenant plusieurs mois. Toutes les équipes ont été fantastiques notamment lors des relectures. Je ne me suis pas freiné car je suis le premier à convenir que cette analyse de Kirby parfois austère n’était pas « reader friendly ». Une ou deux personnes me l’ont dit, mais j’avais peur d’un malentendu plus répandu.

Tu as également prolongé ton documentaire sur les super-héroïne.

En 2019, lors de la première édition du salon Popcon à Toulouse, j’ai assisté une équipe de tournage. Les journalistes ont profité de très bonnes conditions, mais ils n’étaient pas forcément intéressés. Je pestais car Chris Claremont leur disait que Tornade avait été la première femme noire régulière dans les comics et la première femme noire intégrée. J’ai commencé à réfléchir à ce que je ferais à leur place. Frédéric Ralière travaillait sur le salon et je lui ai demandé pourquoi il ne filmait pas les interviews. Il m’a répondu qu’on ne lui avait jamais proposé. Fin 2019, on a rencontré plusieurs artistes à Paris mangaNicola Scott nous explique qu’elle a voulu travailler dans le monde des super-héros en tombant petite sur la série Wonder Woman à la télévision. Juste après, Darick Robertson part spontanément dans une envolée lyrique sur les qualités de Wonder Woman. On avait le noyau d’un documentaire sur les super-héroïnes. En rangeant son matériel, Frédéric pestait en pensant que j’avais tout préparé alors que c’était totalement dû au hasard. J’ai tapé à la porte du producteur David Frécinaux. Pour être passé dans une de ses émissions, je savais qu’il traitait bien les sujets geeks. Je suis venu pour, au pire, être guidé. En fait, il a adoré le projet. Il me l’annonce le soir où j’étais avec des responsables de Monolith qui me proposaient de rédiger le guide sur Gotham City avec Alex Nikolavitch.  Dès qu’on a discuté avec Alex, on a vu tout ce qu’on pouvait rajouter. Gotham est aussi la ville d’Alan Scott dans Golden Age etc.

En parallèle, le projet de documentaire avançait. En février 2020, on signe le contrat avec Warner… juste avant que la covid ne gèle tout. Comme le snap de Thanos, toutes mes interventions et mes formations en médiathèque étaient annulées. Assez bizarrement, cela a été le moment du rebond. Alors que les gens étaient bloqués chez eux, j’arpentais les rues de Gotham. Ce projet a sauvé mon mental. En parallèle, j’ai cogité sur le documentaire. On a pu commencer le tournage dès la fin du confinement. J’avais signé pour 52 minutes, mais, avec tout notre contenu, j’avais envie de rallonger. Grâce aux annulations de la covid, on a pu monter à 90 minutes. Le projet a également pris une autre ampleur quand Warner l’a sorti à l’international sur HBO pour les 80 ans de Wonder Woman car les Américains n’avaient rien à cause de la covid.

Je tenais que Chris Claremont soit présent car il avait un propos pertinent et il était un peu à la source du projet. Il est un bon client et parlait de Magnéto, de Mystique et de Rogue. Hélas, ces parties ne rentraient dans le thème du documentaire. Je les ai gardées pour une éventuelle suite sur les super-vilains. Le producteur français était partant et Warner a accepté en prévoyant dès le départ un passage sur HBO Max. On avait réussi à faire un documentaire en temps de covid et donc on pensait que ce serait plus facile pour le deuxième. Nous avons été naïfs car, fondamentalement, il s’est révélé comme l’autre, plein de surprises, mais on s’y attendait moins.Même si on est entouré par un éditeur et un correcteur, un livre reste un projet individuel alors qu’un documentaire regroupe très rapidement une cinquantaine de personnes : les invités, leurs proches quand on tourne chez eux…

Comment s’est faite la sélection pour ce deuxième documentaire ?

Comme pour Comic Box, des invités sont prévus mais certains disparaissent dans la nature : les mails se perdent, les gens ne répondent plus ou n’ont plus le temps… Il y a aussi des moments magiques. Je souhaitais interroger Gerry Conway – le scénariste de la mort de Gwen Stacy ayant également co-créer le Bouffon Vert et le Punisher –, mais il n’a jamais répondu. On finissait le tournage à Los Angeles par Mark Waid. Je regarde mes messages et Conway qui venait de trouver les mails, acceptait une rencontre. En plus, il habitait à 40 km de Waid. C’était parfait. Sur imDB les avis positifs sont arrivés très vite alors que cela s’est fait sur le long terme pour les super-héroïnes.

Comment s’est effectué le retour de Comic Box?

Cinq ans après la disparition de la revue, toute l’équipe avait envie d’y retoucher et voulait agir vite pour éviter de se disperser. A peu près en même temps que le documentaire, l’éditeurHuginn & Muninn vient me proposer de refaire Comic Box. Je les connais depuis longtemps car ce sont les éditeurs de trois de mes livres et Rodolphe Lachat est un lecteur de longue date de Comic Box. Cependant, le projet est différent. Le magazine était le travail de toute une partie de l’équipe et c’était très prenant. Le mook est un autre rythme. Certains lecteurs regrettent le format passé. Peut-être qu’il reviendra, mais se lancer dans le kiosque aujourd’hui serait suicidaire. Au fil des années, beaucoup de gens me disait que la revue leur manquait. 

Pourtant, il existe aussi Scarce ?

Pour moi, il n’y pas de double emploi. J’ai toujours eu de très bons contact avec Xavier Lancel qui fait un excellent fanzine. Il prend sur son temps personnel pour des dossiers pointus sans se soucier du lectorat. En mettant Power Pack en couverture, il fait le travail d’un fanzine. Si Comic Box le faisait, le numéro ferait un four et on mettrait la clé sous la porte. On peut parler de Power Pack mais on doit régler notre pédagogie autrement. L’essentiel du noyau dur de Comic Boxvient de la presse. Lise Benkemoun a interviewé Ahmad Massoud, responsable de la résistance Afghane contre les Talibans. J’ai bossé pendant cinq ans dans un journal local. Je ne cherche pas à parler de mes souvenirs de lecteur car il y a une prise de distance entre toi utilisateur et toi journaliste. Cela nous donne une spécificité qui manquait à de nombreuses personnes.

Quelle est exactement ta place d’éditeur en chef ?

C’était bien plus organique quand Comic Box sortait six numéros par an. Travaillant tous dans le même bureau, c’était simple d’échanger de manière informelle. Avec plusieurs numéros par an, je pouvais réfléchir à un autre regard sur une sortie importante autour de Batman par exemple et d’autres personnes proposaient des idées.

J’ai été extrêmement impressionné par le sommaire du premier numéro. Tu as réussi à rassembler tous les artistes et les thèmes qui ont ensuite fait la une.

Le multivers ce n’était un scoop car tous les films allaient en parler. En tant que lecteur vo, tu es avantagé car tu as le temps de voir venir. Chip Zdarsky avait déjà fait le buzz sur Daredevil. Il réussit à sortir de l’ombre de Mark Waid. Faire un sommaire est aussi un pari comme le tiercé. On en parlait souvent avec Fabrice Sapolsky. Au bout de trente ans, tu commences à sentir ce qui va venir. Je trouvais l’écriture de Christopher Cantwell très intéressante, mais il n’est pas encore une locomotive. Il fait partie du casting supplémentaire qui permet de donner la parole à cet auteur et de le faire connaître aux lecteurs français qui n’ont pas accès à des dizaines d’interviews.

Quels sont les articles de ce deuxième numéro autour de la fin du monde ?

Gary Frank, dessinateur de Geiger, est un des premiers noms auxquels j’ai pensé. La scénariste Devin Grayson a aussi écrit sur Rewild sur la question environnementale même si elle est connue pour avoir créé le personnage de Yelena Belova. En librairie, Comic Box fait plus de deux cents pages et donc tout le sommaire ne se concentre pas sur le thème. L’idée est de faire régulièrement des respirations. Je pense souvent à un mix musical de soirée. On ne peut passer la même musique mais on cherche des invités qui se complètent. La facilité est de prendre les cinq premiers scénaristes et artistes. On crée un équilibre par maison d’édition, par nationalités et par âge… mais ce n’est pas toujours facile. Le milieu des comics n’étant pas mixte, c’est encore statistiquement plus difficile d’interviewer des autrices, alors que j’y tiens.

Il y a parfois des surprises. Lise qui s’occupe des interviews car elle parle six langues travaille ses invités les plus difficiles sur des mois. Quand Miller a finalement accepté, tu oublies le lien avec la fin du monde. Après la sortie, tu te rends compte que des thèmes secondaires existent comme deuil : lors de la fin du monde certes mais aussi avec Quesada dans son livre Father ou toute l’œuvre de Geoff Johns marquée au fer rouge par le deuil. Cela doit tenir de l’inconscient

Pourquoi le prix a-t-il augmenté ?

Il y a une différence entre ce que tu veux et ce qui est raisonnable. Les forums ou les groupes de discussion ont l’art et la manière de croire que ceux qui travaillent dans l’industrie ne sont pas lecteurs et ne l’ont jamais été. La conjoncture est difficile pour tout le monde. L’augmentation s’explique par le prix des matières premières et l’inflation, mais on n’est pas monté au niveau. On fait au mieux dans la limite de nos moyens. L’important est que cela existe. Certains le trouveront d’occasion.

Comment es-tu devenu entrepreneur en parc d’attraction ?

En 2021, je reçois un appel d’un responsable du Futuroscope. Il me prévient que le parc va utiliser mon livre sur les super-héros français pour une attraction. J’ai cru rêver. Ils ont été très honnêtes car j’ai écrit un essai, mais je ne suis pas le créateur de ces personnages. Ils auraient pu utiliser mon livre comme mode d’emploi sans me prévenir, mais ils m’ont pris comme consultant. La salle d’attente de l’attraction est un musée des super-héros français avec une grande fresque, des statues… Je devais sélectionner dix-huit personnages si possible d’avant 1949 en lien avec le scénario de l’attraction. On ne pouvait donc hélas caser Mikros ou Photonik. Connaissant les ayants-droits des personnages, je pouvais faciliter au Futuroscope les démarches juridiques. J’ai tapé à la porte de différentes personnes pour créer cette salle avec des personnes romanesques et littéraires, des personnages du film Judex, des dessins animés… Cette attraction met en lumière des personnages dont on parle rarement. Des enfants ont rencontré le petit-fils du créateur de Fantask à Angoulême car ils avaient découvert le personnage au Futuroscope. De nombreuses personnes comprennent le blocage créé par la loi de 1949. Une boutique s’est ajoutée avec des goodies de DC, mais les clients réclamaient des produits des super-héros français. Ils ont ajouté les livres sur Fantask et mes livres sur les super-héros français. Cette carte de visite m’ouvre aujourd’hui des discussions. Un producteur de film me propose d’être consultant pour négocier les droits sur les super-héros français.

Quels autres projets pour cette année ?

Le livre de Gotham doit sortir début d’année 2024. La cité internationale de la bande dessinée d’Angoulême m’a contacté pour être le co-commissaire d’une exposition de dix mois consacrée à Marvel. C’est la première exposition sur le comics mainstream depuis Will Eisner. J’ai passé des mois à discuter à des collectionneurs pour prêter des originaux de KirbyDitkoStarlin et des artistes plus récents. L’exposition prend forme et des auteurs viendront peut-être. Un troisième documentaire est dans les tuyaux, mais je ne peux en dévoiler le sujet.

Je vais finir la rédaction des tomes sur les super-héroïnes. Ce sont les livres disparus dans le vol de l’ordinateur. J’ai plein d’information sur les origines réelles des personnages fictifs. Le premier livre traitera des femmes justicières détectives et un autre sur les femmes à super-pouvoir car les problématiques sont différentes : la reconnaissance de la réflexion et la reconnaissance de la femme à pouvoir. J’ai aussi récupéré la marque Strange. J’ai désormais le temps de m’y consacrer. Ce ne seront pas des articles, mais un magazine de bd américaine.
Je tiens à remercier Xavier pour sa patience car la transcription a mis du temps. L’auteur de la photo est C. Perez.

3 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Nicolas dit :

    Interview intéressante. Merci. Pourquoi les BD de l’héroine Etincelle (attraction du futuroscope) ne sont pas rééditées alors que Fantask oui ? merci

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    1. thomassavidan dit :

      Merci beaucoup pour votre commentaire. N’ayant pas pu aller voir l’attraction, je ne suis pas certain de la réponse. Il me semble qu’Etincelle est une héroïne inventée pour l’attraction et qu’elle n’a jamais (ou pas encore) eu d’adaptation en comics. Pour en être sûr, il faudrait poser la question sur le site du parc.

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