[Review] Canary

Vous le voyez peu sur le site mais j’adore les westerns. Si ce genre fleurit en bd franco-belge, il reste discret en comics. Je ne pouvais donc manquer la sortie de Canary.

Un résumé pour la route

Les six épisodes de Canary ont été écrits par Scott Snyder (Batman Last Knight On EarthClear), dessinés et colorisés par Dan Panosian (SlotsConan). Ce récit complet a été publié aux Etats-Unis par Comixology Originals en ligne puis par Dark Horse Comics entre novembre 2023 et février 2024 et enfin en France par Delcourt le 22 mai 2024.

Lors des derniers mois de la conquête de l’Ouest, une société du Colorado cherche désespérément ce qui peut rester comme minerai. Lors de ses ultimes fouilles, la mine de Canary s’effondre et des légendes circulent depuis sur ce lieu maudit et peut-être hanté…

On en dit quoi sur Comics have the power ?

Le début de Canary m’a intrigué en mélangeant le western et l’enquête. Dans la première scène, un enfant tranche la gorge de son institutrice lors d’une conférence politique dans sa salle de classe. Elle voulait pousser la région à s’intégrer aux États-Unis. Pourtant, le tueur avait la réputation d’être le seul enfant calme d’une famille violente et mal vue dans la ville. Plus étrange, ce meurtre n’est qu’un exemple d’une épidémie de morts violentes et sans raisons au sein de plusieurs familles. Un enquêteur, le marshal William Holt, rencontre un géologue ayant une hypothèse. Tous ses meurtres se déroulent le long d’une rivière souterraine prenant sa source dans la mine de Canary. De nombreux mystères planent sur cette ville. Le géologue se demande par exemple pourquoi creuser si profondément pour du cuivre. Ce lieu est également très personnel pour Holt : près de la mine, il a abattu un célèbre tueur. Le dernier épisode plonge à la fois aux sources de la mine et aux racines de la crise du héros.

Holt est en effet appelé pour rétablir l’ordre et il l’a fait plusieurs fois auparavant. Depuis 1883, l’arrestation d’Hyrum Tell a fait de lui une légende de l’Ouest construites dans des revues bons marché. Il est devenu une star car, quand il va devenir violent, il se cache le visage avec un foulard noir et blanc représentant un cercueil stylisé. Cet accessoire ressemble beaucoup à celui d’Erika dans Something is Killing the Children. Ce personnage pousse la série vers une réflexion sur le héros masculin. Modèle parfait dans les romans, il jouit de la réputation d’être impitoyable mais ne s’en préoccupe pas. Il est même qualifié par le shérif de « fils de pute » car il refuse l’aide. Plus jeune, Holt voulait instaurer l’ordre pour faciliter la marche de la nation vers le progrès. Depuis, il a perdu ses illusions et fait son boulot en attendant la retraite.

Deux versions de l’histoire s’opposent. Une découverte fait venir du pays entier à Canary des curieux fortunés qui croient au rêve américain d’une fortune rapide et pour tous. Refusant sa mythologie, William Holt tient à la vérité et voulait lutter contre les mensonges médiatiques. Cependant, il a également baissé les bras alors que plusieurs autres personnages veulent se conformer à un modèle qui n’existe pourtant pas dans la réalité. Le maire de Canary préfère garder cette légende qu’il instrumentalise afin de préserver le roman national et pour lutter contre le grand remplacement. Le scénariste montre le formation du mythe en mettant en parallèle des extraits du roman a quatre sous sur Holt et la réalité. Cette légende réduit la violence et supprime les sources d’inquiétude. Pourtant, dans le final, le héros se conforme à sa légende. Le scénariste fait ainsi un éloge du storytelling et du mythe : la légende sauve le monde ce qui est étrange car ailleurs Snyder veut détruire le mythe de l’Ouest par des taches de sang. Il dénonce le génocide des peuples premiers et leur intégration de force dans la civilisation occidentale. Un enfant n’est pas un innocent mais un monstre qui, sans raison, bascule dans la folie et tue n’importe qui. Je suis horrifié par sa froide logique totalement détachée de la raison commune. La famille n’est pas un rempart et la fuite vers l’Ouest est une illusion. Scott Snyder montre également un Ouest plus varié. Compagnons et acolytes de William Holt lors de l’enquête, l’Afro-Américain Edison Edwards est expert en géologie et Mabel Warren dirige le saloon. Ils croisent des peuples premiers qui sont loin des films. Le rêve de faire fortune se heurte à l’exploitation capitaliste. Hélas, ce message politique est lourdement appuyé. Par Hyrum Tell, Snyder veut symboliser l’avidité humaine et capitalisme quand le tueur affirme que son corps possède plusieurs bouches qui dévorent le monde. Ses enfants seront encore plus voraces. L’adversaire principal associe argent et enfer. La tension et la surprise diminuent dans la deuxième partie du livre. en effet, comme souvent, Snyder est malin et sait créer un pitch ou un univers mais manque de constance pour aller au bout de ses idées. 

Pourtant, comme d’autres séries en indépendantSnyder sait très bien s’entourer. Dan Panosianse charge de l’ensemble des visuels des croquis jusqu’à la couleur dans un style magnifique. L’artiste joue des contrastes entre de multiples traits et l’épure. Il sait être réaliste par la précision des visages ou pour certains éléments : une locomotive, un cactus, le bois du saloon… Cependant, il peut aussi nous choquer quand il montre de face un homme défiguré afin de montrer les ravages de la conquête de l’Ouest. Sa précision anatomique est repoussante. On sent qu’il s’amuse beaucoup dans les paysages souterrains. J’ai aussi beaucoup apprécié ses choix radicaux de colorisation. D’une part, les palettes de couleur sont réduites. On retrouve le marron des westerns à la Leone et les bulles ne sont pas blanches mais beige. Le rouge ou un bleu vert sont aussi très présents sur certaines pages. D’autre part, ces plages de couleurs sont salies par des taches noires ou des gouttes de peintures. Le fond peut devenir la craquelure d’une toile desséchée. Cette colorisation premier degré illustre le saleté et la chaleur. Ces couleurs et le fond expressif des cases m’évoquent Van Gogh.

Alors, convaincus ?

Si le début mélangeant l’enquête et le western m’a beaucoup plu avec une belle réflexion sur les mythes de l’Ouest, je suis plus sceptique sur la conclusion du scénario de Scott Snyder. Néanmoins, je m’émets aucune critique sur le dessin de Dan Panosian que je trouve passionnant de bout en bout. Canary ne me semble donc pas le récit indépendant le plus réussi du lot et je vous conseille davantage La nuit de la goule.

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