[Review] Arca 

Chaque sortie de 404 Comics, désormais 404 Graphic, est un évènement non seulement par le soin apporté à l’édition, mais également par l’originalité du fond. Arca va-t-il poursuivre le voyage littéraire d’Au-Dedans en vous envoyant dans l’espace ?

Un résumé pour la route

Arca est écrit par Van Jensen (Green Lantern CorpsSuperman: Man of Tomorrow), dessiné par Jesse Lonergan (Planet ParadiseMiss Truesdale and the Fall of Hyperborea) et colorisé par Patricio Delpeche. Le livre a été publié aux États-Unis par IDW le 11 juillet 2023 puis en France chez 404 Graphic le 7 mars.

La société humaine s’étant effondrée, un groupe de milliardaires s’est enfui dans une arche spatiale vers la planète habitable la plus proche, Éden. Pour satisfaire les besoins des passagers de l’Arca, de jeunes adolescents sont réduits en esclavage contre la promesse d’une nouvelle vie.

On en dit quoi sur Comics have the power ?

404 Graphic sait offrir le meilleur cadre pour le lecteur. Pour voyager en sécurité dans l’espace, il fallait ce grand format puis des pages techniques en ouvrant le livre introduisent l’arche. Logiquement, on se trouve ensuite dans les étoiles. Rassuré, je suis paré à la lecture d’autant plus que l’on garde l’humanité du propos par une couverture toilée très sensible au toucher. Ce côté humain se retrouve dans le dessin. Jesse Lonergan refuse le photoréalisme et la perfection du trait. On voit les coups de crayon jusqu’à la forme des cases. Il sait donner un sentiment d’enfermement par l’absence de vue sur l’espace et des murs métalliques très découpés et fonctionnels. La mise en page est strictement encadrée par une gouttière blanche.

Arca s’insère dans un genre précis de la science-fiction : le voyage des arches spatiales. Inspirés de Noé et de la colonisation, d’immenses vaisseaux autonomes traversent l’espace à la recherche d’une planète pour accueillir une communauté en fuite. Arca commence donc par un plan pour que le lecteur comprenne le fonctionnement du vaisseau. Il est séparé entre les logements, les espaces techniques (le centre de contrôle, la gestion des ordures), les services de base (l’hôpital, la ferme) et les lieux de loisirs (le gymnase, l’amphithéâtre). Les dialogue prouvent que chaque détail du vaisseau – et donc du scénario – a été réfléchi : sans apport extérieur, le sol de la ferme perd progressivement des nutriments. L’arche ne peut donc survivre éternellement dans l’espace mais devra trouve Éden dans un délai de 24 ans. Dans la page suivante, la population étant nombreuse, un guide présente les personnages principaux. La visite de l’Arca se fait également en suivant la journée d’un personnage. Arca débute par le rêve d’Effie où elle est entourée de squelettes dans un moyen de transport puis on la voit au service d’un citoyen puis du conseil de direction. On perçoit des tensions politiques entre les dirigeants. En fin de journée, elle retrouve ses amis et son compagnon black Don. Van Jensen évite le manichéisme entre citoyens et pionniers en décrivant plusieurs jeunes travailleurs : Matt adhère au projet alors que Bet critique le système. Effie a un objectif plus simple proche des premiers colons américains : s’établir sur la nouvelle planète dans une ferme avec Don. Pourtant, la journée suivante multipliant les évènements de plus en plus graves lui fait prendre conscience que le projet social de l’Arca est une façade. Elle enquête alors pour savoir pourquoi l’élite ment. Très maline, Effie sait répéter le discours attendu par la société et par son interlocuteur tout en gardant ses propres plans. Elle vole des objets qu’elle échange avec ses amis. Encore plus dangereux, elle emprunte des livres qu’elle lit avec Don. En parallèle, on suit les origines du projet à travers les souvenirs du dirigeant Denton Graves.

Arca est une parabole de l’inégalité sociale. Le projet de l’arche fait suite à un effondrement écologique. Cette dimension écologique et politique n’est pas surprenante en regardant la biographie de Van Jensen. Il est né et a grandi dans la région agricole de l’ouest du Nebraska. Il débute comme journaliste criminel, puis rédacteur en chef de magazine. Les citoyens dominent le vaisseau qu’ils ont subventionné. Leur droit est défendu par les assistants et leurs besoins sont assurés par les pionniers qui n’ont donc aucun droit politique. Le plan du vaisseau illustre également l’inégalité sociale. Si les citoyens ont des appartements confortables ressemblant à ceux de la Terre, les pionniers dorment dans des couchettes. Cette domination spatiale concerne aussi le choix de l’occupation de l’espace – une partie de la ferme est consacrée à la viticulture – et des activités. Les citoyens pratiquent le yoga, le tennis et, comme pendant la Rome antique, ils assistent à des combats de boxe entre pionniers qui le font pour de la nourriture. Comme le carnaval, des rites accordent une transgression temporaire pour permettre au système de durer et un mythe conforte le régime politique : un milliardaire David Fox s’est sacrifié pour permettre le lancement de l’Arca. Les pionniers n’ont pas le droit de lire. Ils ne sont donc pas des jeunes en formation. Au fil de ses échanges avec les autres, je me rends compte de l’ampleur des lacunes de base d’Effie. Cependant, cette méconnaissance est voulue et les mensonges s’accumulent au fil des pages. En effet, le livre s’intéresse également à la vision que la société a de la jeunesse. Les pionniers doivent servir les riches jusqu’à la certification, leur majorité, puis ils sont dispensés. Leur liberté de déplacement est si encadrée qu’ils doivent seulement aller à l’étage de leur citoyen. Cette fonction passe également par un ton respectueux à adopter. Dès le matin, une voix répète un discours de propagande sur la nécessité du service. Ils sont dressés dès l’enfance par l’école et sanctionnés au moindre comportement inapproprié. Le registre repose sur la culpabilisation : chaque erreur des jeunes risque de pénaliser le succès de l’ensemble de la mission. La soirée est occupée par la diffusion de dessins animés. Cette vision est bien saisie mais je suis rarement surpris. Ayant déjà vu Soleil Vert ou 1984, le secret du navire manque d’originalité et donc je trouve les pensées d’Effie naïves. 

Alors, convaincus ?

Toute la première partie d’Arca constitue l’enquête d’Effie aidée de ses amis pour comprendre les secrets derrière le projet de l’arche. Une fois la supercherie dévoilée, l’action se renforce autour d’un récit dystopique. Sans vouloir gâcher la surprise, le final montre l’ampleur du mensonge et combien l’élite peut vouloir préserver son pouvoir face à la jeunesse.

Laisser un commentaire