[Review] Sacrifice

Cela bien trop longtemps que je n’avais pas pris de nouvelles de Rick Remender, sans doute, depuis Black Science. La sortie de sa nouvelle série Sacrifice était l’occasion de retrouver ce scénariste dont je suis particulièrement fan.

Un résumé pour la route

The Sacrificers est écrit par Rick Remender (Black ScienceDevolution), dessiné par Max Fiumara (Sandman The Dreaming, Lucifer) et colorisé par Dave McCaig. Ces six épisodes ont été publiés aux États-Unis par Image Comics entre août 2023 et janvier 2024 puis en France chez Urban Comics le 24 mai 2024.

Sur une planète peuplée de créatures anthropomorphes très différentes, l’harmonie nécessite un sacrifice. Chaque famille doit offrir de bonne grâce son premier enfant à des envoyés des dieux. Où vont ces sacrifiants et à quoi servent-ils ?

On en dit quoi sur Comics have the power ?

Le fonctionnement de ce monde est expliqué dans les premières pages et je suis d’emblée ému en voyant le fils aimé se sacrifier. En effet, son départ est déstabilisant. Le jeune oiseau bleu accepte volontairement son sort. D’une part, il est conscient de sa responsabilité vis-à-vis de ses frères et sœurs. D’autre part, son père le traite si mal qu’il semble être heureux de partir même si cela pourrait signifier de mourir. Il devra marcher avec les autres sacrifiants dans différentes régions de ce monde. Par son voyage, le lecteur rentre dans le récit. En faisant halte à un palais, il est célébré comme messie de l’espoir à sa grande surprise. Je suis tout aussi étonné car ce paysan est méprisé de tous, y compris de sa famille. Il va pourtant se révéler très malin et puissant. Sans le vouloir, il ne rentre pas dans le moule des sacrifiants. Dans les dernières pages, il va remettre en question l’ordre établi car son enfance sinistre et sa tristesse font voler en éclats le système supposément parfait. Le voyage des sacrifiants est difficile mais l’arrivée améliore la vie de ces adolescents. Rick Remender joue avec le lecteur en naviguant entre le conte optimiste et la fable sombre. Aucun ainé des familles ne sait qu’elle est le point d’arrivée ni ce qui va se produire. Chaque peuple et chaque famille se soumet à l’ordre établi mais ce mystère crée des tensions entre les sacrifiants. L’obligation sociale diffère selon la classe sociale. Les bourgeois analysent ce sacrifice comme un honneur tandis que les plus pauvres voient la mort pour les dieux comme un soumission à un ordre inégalitaire.
En parallèle, un autre jeune personnage nous dévoile l’autre face de ce voyage. Fille du Soleil et de la Lune, Soluna n’est pas admise au gala de la moisson bien qu’elle vienne de fêter ses dix-huit ans. Cette fête qui n’a lieu qu’une fois tous les vingt ans réunit tous les dieux et déesses pour une cérémonie secrète. Soluna est même confinée dans sa chambre. Comme toute adolescente, elle ne supporte plus d’être tenue à l’écart mais exige d’être une adulte tout refusant de leur ressembler. Soluna sort de sa chambre et se cache pour assister à la cérémonie. Découvrant le secret des dieux, elle est scandalisée par ce qu’elle voit. Cet acte transgressif devient un moment de rupture. Soluna fuit et, ainsi, devient adulte en perdant ses illusions sur son groupe social et sur son père.

J’ai été ravi de retrouver Rick Remender. Le scénariste est vraiment doué pour créer un univers déstabilisant dans les premières pages mais séduisant par son originalité. Je ne comprends pas tout mais j’adore ces oiseaux bleus anthropomorphes et ces créatures humanoïdes aux cheveux et aux poils de feux. Le roi est le soleil de ce système : il vit dans son palais et doit régulièrement distribuer son énergie pour que l’astre diffuse sa chaleur. Ensuite, le récit se construit progressivement par des indices savamment distillées tout en gardant une tension constante. Malgré des images lumineuses, la tonalité est sombre. Je m’identifie à cet oiseau bleu maltraité qui découvre un paradis tout en étant persuadé que le pire va advenir. Loin d’être un défaut, la tristesse permet de poser un juste regard sur le monde puis de survivre. Dans ce monde, le mensonge est vital pour les humains afin de satisfaire l’appétit des dieux et utile aux dieux qui sont dans le déni de la vie réelle de leurs fidèles. Je retrouve les centres d’intérêt de Remender. Le scénariste dénonce la religion. Un des sacrifiants est une fidèle fanatique voyant dans chaque difficulté du voyage une épreuve divine. Pourtant, quand Soluna nous parle du panthéon des dieux, je pense à la famille dysfonctionnelle de la mythologie grecque plutôt qu’à une famille parfaite. Chaque dieu ou déesse méprise l’autre et critique ses actions. Par confort, ils ont parfois quitté leur milieu naturel. Se détachant des demandes humaines ou des contraintes physiques, ils deviennent pathétiques. Ils sont même des parasites qui profitent de la naïveté humaine. Tous ne sont pas compromis car la déesse de la lune s’oppose au sacrifice lors d’un discours bouddhiste sur le refus des sentiments. Cette critique du religieux s’attaque aux adultes qui perpétuent des rites néfastes. Dans la première page, Remender montre l’hypocrisie d’un père intégriste qui récite une prière de soumission à Dieu. Pourtant, ensuite, il violente son fils et tyrannise ses autres enfants au point qu’ils volent de la nourriture. Le père de l’oiseau bleu est le premier d’un suite de parents incompétents. Le père de Soluna a une maîtresse et ce roi conserve le mariage pour la façade politique. Comme dans Black Science, les parents sont incompétents. Dans ces familles pauvres, les futures victimes sont mal-nourries et élevées en marge de leur famille dans le seul but d’être offertes aux dieux. Ces passages décrivent un monde où les parents exercent une éducation violente. Cette sévérité ne signifie pas forcément un manque d’amour mais elle est une technique psychologique pour se protéger de la disparition inévitable de l’ainé. Les dieux, à l’image du père de Soluna, refusent de céder leur place à la nouvelle génération. Par cette nouvelle série, Remender me surprend en proposant de nouvelles pistes. Écrivant un récit de fantasy, il propose une poésie plus grande comme une réflexion sur l’identité de la lune et sa relation avec le soleil.

Comme d’autres sorties récentes, Urban fait le choix d’un format proche d’un album franco-belge ce qui me semble justifié en regardant les premières pages. Le style de dessin me fait penser à La quête de l’oiseau du temps de Loisel. j’avais pu lire quelques pages dans Sandmanmais, par Sacrifice, je tombe sous le charme de Max Fiumara. Le dessinateur argentin me plonge dans un riche univers de fantasy. Il imagine tout un bestiaire humanoïde – des oiseaux bleus, des baleines humanoïdes – et des architectures délirantes aussi bien sur terre que dans l’Olympe. Je feuillète avec plaisir chaque page. De plus, il sait jouer des références pour faciliter la compréhension tout en déroutant. On reconnaît une ferme typique des western mais les propriétaires sont hommes pigeons bleu turquoise. 

Alors, convaincus ?

Avec le premier tome de SacrificeRick Remender construit les fondements d’un univers prometteur. Le destin des enfants sacrifiants se révèle progressivement crucial pour leur planète mais démontre aussi les ravages de la religion. A l’inverse de sombre propos, les pages de Max Fiumara m’ont totalement charmé.

2 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. alchimistedu941861f9de66 dit :

    Thomas,

    Merci beaucoup pour ton commentaire de soutien concernant Alan Davis et les informations non périssables.

    C’est toujours très appréciable de recevoir un tel soutien.En ce qui concerne ton article, bravo, il est très bien détaillé et parfaitement expliqué.

    Je dois avouer que, grâce à tes explications, j’ai compris pourquoi je n’avais pas réussi à accrocher à certains récits de Rick Remender, malgré son talent indéniable.

    J’avais lu Death or Glory et je me demandais pourquoi un comic centré sur l’action ne m’avait pas plu.

    En lisant ton article, j’ai réalisé que c’était le manque d’humour qui m’avait fait défaut.

    Dans « Deadly Class » et « Fear Agent », malgré l’action, l’horreur et la science-fiction, il y avait toujours une touche d’humour qui rendait la lecture agréable et captivante. Dans « Deadly Class », les éléments de « battle royale » et les scènes d’adolescence étaient particulièrement amusantes et rappelaient certaines séries que je regardais étant plus jeune.

    C’est cet équilibre entre humour et sujets sérieux qui me faisait apprécier ces œuvres.

    Ton article est très explicatif et dénonce bien les enjeux abordés dans le comic. Cependant, je dois admettre que certains sujets, comme le traitement de la religion ou la désacralisation, ne m’attirent pas autant, ce qui me dissuade un peu de me plonger dans cette lecture.

    De plus, le fait que l’histoire semble s’étendre sur du moyen-long me fait hésiter davantage.

    Quoi qu’il en soit, merci pour cet article qui m’a aidé à mieux cerner mes préférences de lecture. Grâce à toi, je sais maintenant plus précisément ce que je recherche dans un comic. Affiner ses choix de lecture permet de forger son identité en tant que lecteur, mais aussi de construire son identité personnelle.

    C’est toujours très important de pouvoir s’affirmer dans ses choix.

    Encore merci pour ton travail et ton soutien.

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    1. thomassavidan dit :

      Merci à toi pour ce commentaire très précis. Je dois sans doute aimé davantage la diversité.

      Aimé par 2 personnes

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