[Review] Monica

Je ne peux plus m’arrêter. Depuis que j’ai (re)découvert l’œuvre de Daniel Clowes en profitant de la ressortie de ses œuvres chez Delcourt, je suis devenu fan. Cependant, Monica est un titre à part puisqu’il s’agit d’une création.

Un résumé pour la route

Monica écrit, dessiné et colorisé par Daniel Clowes (Ghost WorldPatience) a été publié aux Etats-Unis chez Fantagraphics le 3 octobre 2023 puis par Delcourt en France le 2 novembre 2023.

Soldat au Vietnam, Johnny, veut vite retrouver sa fiancée pour l’épouser, mais Penny vit pleinement les changements sociaux et le mariage lui semble désormais dépassé. Elle multiplie les aventures et tombe enceinte de Monica.

On en dit quoi sur Comics have the power ?

Dans mes précédentes chroniques, j’ai pris plaisir à découvrir le passé de Daniel Clowes, mais Monica est son nouvel album ayant nécessité cinq ans de travail. Tout en gardant son style, on sent que chaque case est réfléchie. Les visages restent sinistres mais sont plus réalistes. La colorisation reste volontairement sommaire, mais les décors sont plus fouillés. Des pages ont un fond entièrement marron imitant les journaux de mauvais qualité contenant les récit pulps. Le grand format permet de composer de grandes cases. Pour l’occasion, Delcourt propose une édition d’exception. La couverture très épurée offre un contraste entre le portrait d’une femme très fifties et un décor cosmique psychédélique. En ouvrant le livre, on retrouve cette ambiance cosmique dans un paysage de début du monde où des volcans surnagent au-dessus d’une mer de lave. La présentation des intervenants se fait entre des cases sur une histoire de l’humanité des premières cellules au monde actuel. Le sommaire ensuite reprend différents designs psychédéliques. Le livre se termine par une image d’anarchie. Daniel Clowes propose en cent pages de raconter un effondrement collectif, mais également le récit d’une femme. 

© Éditions Delcourt, 2023 — Clowes

Monica rassemble plusieurs nouvelles, chacune abordant un genre différent. L’introduction, Foxhole, est un récit de guerre. Johnny est un jeune G.I. au Vietnam discutant avec son frère d’arme Butch. La camaraderie du front poussant à se dévoiler, Butch se révèle être dépressif, ne sachant plus ce qu’il fait là et ne voyant aucune amélioration à son retour. A l’opposée, même s’il n’est pas plus convaincu par la guerre, Johnny fait son job puis espère retrouver un banal American Way of Life avec sa promise. On arrive ensuite aux Etats-Unis plongés dans la liberté sexuelle et la contre-culture. Pretty Penny commence par la chronique sociale de la libération d’une femme avant de révéler les aspects sombres de cette période. L’absence de son fiancé pousse Penny à faire des rencontres, certes sexuelles mais également de gauche ou féministes. Toutes la bouleversent. Se heurtant à ses parents, elle quitte le cocon établi, mais se perd dans cette liberté. Elle ne sait plus qui elle est et quel est son destin. Les premières images positives de Pretty Penny sont contrebalancées par le récitatif de Monica, sa fille non-désirée. Je comprends alors qu’il ne s’agit pas d’une histoire contemporaine. En effet, ce récit ne donne pas la vision de Penny, mais celle de Monica, devenue religieuse et conformiste, une républicaine en somme. Monica a recomposé son enfance et la vie de sa mère à partir de témoignages de proches dont on voit les portraits actuels. Elle cherche une réponse : la vie de sa mère est-elle celle d’une libération, de l’égoïsme ou d’une plongée dans la dépression ? Les épisodes de la vie de Monica sont ensuite entrecoupés de récits pulps, mais avec une touche absurde et une fin abrupte. Demonica est une nouvelle fantastique sur le deuil, assez typique de Clowes : des jeunes personnes dépressives vivent des aventures de plus en plus absurdes. The Glow Infernalest une histoire horrifique où un étudiant rentre chez lui en suivant une voie ferrée abandonnée. Son père est absent, sa maison familiale en mauvais état et les habitants de la ville sont froids puis s’inquiètent de la tombée de la nuit… The Incident est un polar suivant un détective privé cherchant un fils de riche dans un groupe révolutionnaire. Krugg est le portrait d’un artiste raté ayant basculé dans la folie. The Opening The Way est une parodie d’un récit journalistique sur une secte pathétique.

Monica reprend des thèmes parcourant l’œuvre de Clowes : la dépression, la solitude, l’incompréhension des êtres, des sectes en déclin aux thèses idiotes… Au fil des pages, je comprends que les nouvelles sont interconnectées. Pretty Penny suit la compagne de Johnny, l’un des GI du premier récit. Krugg décrit la vie du premier amant de Penny. La secte de The Opening The Way est celle où part Penny. La titre reprend le prénom la fille de Penny née d’une relation éphémère. Je comprends à la moitié que le livre décrit son cheminement de vie et sa quête des origines. Ce personnage m’a profondément touché. On voit son enfance perturbée par les errances hippies de sa mère. A la mort de sa grand-mère, Monica perd son dernier repère. Plongeant dans la dépression, elle s’installe dans le chalet de vacances de ses grands-parents, se détache de la société et de la réalité. Success montre qu’en réalisant un projet maternel, Monica est devenue riche et célèbre. Cependant, ces réussite sont éphémères et masquent l’absence de relations amoureuses et amicales durables. Elle prend conscience de ce vide lors d’une crise de la quarantaine et part à la recherche de sa mère, puis de son géniteur. 

© Éditions Delcourt, 2023 — Clowes

Le texte souvent long mais rarement ennuyeux nous plonge dans les tourments personnels et sociaux. On y lit une vision pessimiste de l’humanité. Les relations avec ses parents sont un échec et l’amour est impossible. Les amis ne sont qu’une façade sociale pour cacher sa solitude. Le travail est une obligation et le succès ne rend pas heureux. La dépression est le chemin inévitable des adultes. Les parents ne désirent pas leur enfant et s’en lassent vite pour suivre leurs rêves, mais finalement mènent une vie aussi pathétique que les autres. Cette absence d’amour pèse sur les vivants. Monica serait une œuvre autobiographique mais j’ai eu du mal à cerner quelle partie.  Daniel Clowes est-il un enfant non-désiré ? Plusieurs personnages croient pourtant pouvoir se transformer. Butch et Penny découvrent un monde différent de leurs espérances ou de leurs aprioris. Ces révélations, pour l’un à l’étranger et l’autre dans la même ville mais un autre milieu social, modifient leur conception de la vie. Ce pessimisme se retrouve pour le pays. Monica décrit l’effondrement d’une partie du pays : des villes abandonnées, une cité touristiques hors saison et un final explosif à la Greg Araki. Je trouve que la noirceur bascule dans le conservatisme par la critique de la révolution sexuelle. Penny, pourtant mère, navigue d’un homme à l’autre, d’un projet professionnel à un autre sans se fixer. Laissée sans surveillance, Monica est sauvée par un homme conformiste. Sans repères, les enfants des hippies sont insupportables. 

Alors, convaincus ?

Monica démontre que Daniel Clowes reste pertinent et créatif. On suit en un peu plus de cent pages toute la vie d’une femme. Cette biographie le plus souvent pathétique dessine une image pessimiste du monde et Clowes règle ses comptes avec le flower power. Cependant, le dernier chapitre montre qu’un heureux apaisement reste possible avant la destruction…

2 commentaires Ajoutez le vôtre

Laisser un commentaire