[Review] Horizons Obliques

Le multivers est très à la mode au cinéma ou dans les comics, mais ces univers parallèles ont des règles physiques souvent proches du nôtre. À l’opposée, Horizons Obliques propose un voyage dans un monde où les bases de la science sont bouleversées.

Un résumé pour la route

Hexagon Bridge a été écrit et dessiné par Richard Blake. Ces cinq épisodes ont été publiés aux États-Unis chez Image Comics entre septembre 2023 et janvier 2024 puis en France chez Urban Comics le 26 avril 2024.

En 4040, un couple de cartographes, Jacob et Elena Armlen, ont été piégés dans une étrange dimension parallèle à l’architecture changeante et peuplée d’entités malicieuses. Des années plus tard, leur fille Adley ne les a pas oubliés. Dotée d’un pouvoir de clairvoyance et accompagnée du robot Staden, elle se lance à leur recherche.

On en dit quoi sur Comics have the power ?

Dès les premières pages, je n’ai pu m’empêcher de penser aux Cités obscures de François Schuiten et de Benoît Peeters. En préface, l’auteur d’ailleurs salue son importance dans sa construction personnelle. Le dessin à l’encrage fin, les corps allongées dans des décors vides et la colorisation donnant une impression terne me rappellent cette série que j’aime beaucoup. La mise en page bornée est aussi héritée de la bd européenne. Les grandes cases sur le paysage sont cependant plus esquissées. Il est donc compréhensible que le format se rapproche de la bd davantage que des single issues. Il est tout aussi logique que Schuiten, dessinateur de ce mythe de la bd, conclut le livre par un entretien avec Blake. J’y apprend que l’auteur consacre une grande importance au silence et au langage visuel. Il affirme en préambule que le livre est né d’images mentales. Ayant étudié la peinture et le graphisme, Horizons Obliques est son premier roman graphique. Je regrette cependant que l’éditeur français n’ait pas choisi une de ses splendides couvertures au graphisme très soigné.

Comme dans Les Cités obscures, on retrouve ces mondes familiers et étranges. Le plus souvent, l’architecture n’est pas futuriste mais similaire à la nôtre. On roule en Vespa dans le cœur de Rome. Cependant, les règles sociales ou physiques diffèrent. Les humains perdent rapidement leurs repères dans cet autre monde car l’esprit humain ne peut les concevoir. Cette modification du réel donne une dimension philosophique au récit. Horizons Obliques s’intéresse en effet à la mémoire. Pendant que l’héroïne veut retrouver ses parents et est guidée par des photos de familles, les IA perdent la mémoire et oublient leurs origines. Alors que Les Cités obscuresconsacraient une place importantes à décrire ces modifications, le mystère est ici complet. On ne connaît pas les causes des changements de l’autre univers : des éléments flottent, des morceaux de réels sont entrecoupées de grands vides, les villes sont vidées de leurs habitants. Ce riche monde visuel paraît sans profondeur car l’auteur se permet de nombreuses cases muettes. Je découvre dans l’entretien que ce monde est une allégorie de l’esprit avec des îlots de pensée. Les villes sont sur le point de se dissoudre comme la mémoire puis ressurgissent sous une autre forme.

A l’image de la série belge, Blake développe une pensée sur l’espace, sur la géographie. Des plans et des cartes servent à s’orienter, les maisons se décomposent comme sur une représentation d’architecture en 3D, surtout, le scénario joue sur la perte de repères. Dans les premières pages, je saisis mal ce qui se passe. Pourquoi cette jeune fille en jaune disparaît ? Pour quelle raison les maisons volent ? Ce n’est qu’au chapitre trois que je comprends qu’il s’agissait d’un rêve d’Adley. Le scénario suit alors progressivement alors les codes du récit d’expédition et d’une quête. Effectuant un road trip, Adley recherche ses parents avec Staden. Ils forment un duo mal assorti. Staden, capable de survivre dans l’univers parallèle instable, possède un savoir encyclopédique et utilise la raison pour discuter avec l’intuitive Adley. Ayant des visions de ses parents depuis l’enfance, elle incarne le sentiment voire le mysticisme. Pourtant, les deux sont des amis d’enfance. En effet, une équipe autour de ses grands-parents a prévu cette mission en duo et les ont éduqués dans ce but. Les derniers jours de cette préparation occupent la première moitié d’Horizons Obliques. Puis, alors qu’Adley le guide depuis notre Terre, Staden se trouve dans un monde inconnu où il affronte une IA de la première mission. Gerardus est certes un robot mais, loin d’être froid, il a l’attitude déférente et le vocabulaire soutenu d’un domestique de la bourgeoisie.

Cependant, Richard Blake se détache des Cités obscures en intégrant d’autres références. Un personnage se nomme Ishiguro comme l’auteur de romans. La préparation de l’IA par ellipses temporelles et la réflexion sur la pensée informatique me font penser à Carbone et Silicium. Staden est éduquée par les humains mais également par elle-même. Cependant, contrairement à l’œuvre de Matthieu Bablet, il n’y a pas d’opposition entre la science (robotique) et l’humanité mais un lien télépathique. Les IA ne cherchent pas à se distinguer les êtres humains mais les copient.

Alors, convaincus ?

Comme Staden, je me suis perdu pendant une partie du récit, j’ai cependant apprécié le voyage me rappelant Les Cités obscures. Cet univers change vraiment du nôtre ce qui fait du bien. Ma perte de repère correspond également aux personnages et au propos sur une mémoire éclatée de l’auteur. Mis à part la volonté de retrouver ses parents, les motivations des personnages me paraissent vides de sens. La révélation se fait dans les dernières pages et donne une image positive du progrès de l’IA. 

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