[review] Meyer

Après la rencontre avec Mark Waid et la critique de son titre Ignited, nous avions envie de poursuivre la découverte du nouvel univers comics des Humanoïdes Associés, H1. Deux de nos rédacteurs ont donc décidé de partir ensemble dans le Sud des États-Unis dans cet article avec Meyer, un polar tropical !

Un résumé pour la route

Meyer_1Meyer regroupe la mini-série de cinq épisodes sortis aux États-Unis le 24 septembre et en France le 24 octobre chez les Humanoïdes associés. Le scénario est de Jonathan Lang, le dessin d’Andrea Mutti (Rebels, Evil Empire 2) et la colorisation d’Andre Szymanowicz.

Meyer est un retraité qui vit des jours bien trop tranquilles dans une maison de retraite en Floride mais une erreur de livraison l’oblige à reprendre son travail… sauf que Meyer est un mafieux et la livraison était un colis de drogue.

On en dit quoi sur Comics have the Power ?

L’avis de Sonia 

Meyer est l’histoire de Meyer Lansky, célèbre gangster mafieux américain connu pour avoir été associé de Lucky Luciano et être une des célèbres figures de la Yiddish connection. L’intérêt de ce titre est de nous présenter un Meyer âgé, qui a terminé officiellement son parcours et qui prend sa retraite en Floride en attendant la fin. Consacrer un volume à cette figure, entrée dans la culture populaire, notamment par sa présence dans le second opus du Parrain – Meyer Lansky y apparaît sous les traits du personnage Hyman Roth – est assez original et plutôt intéressant.

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Pour apprécier pleinement la lecture de ce titre, il faut toutefois avoir une excellente connaissance du personnage, de l’histoire de la Mafia et de l’histoire américaine en général. Jonathan Lang livre en effet une histoire hyper référencée, bourrée de clins d’oeil et d’allusions à la culture yiddish, à l’histoire de la mafia et de ses relations avec Cuba au temps de Batista où les gangsters américains étaient rois dans les casinos de la Havane. On découvre également l’existence des Jubains, une petite communauté juive cubaine qui a en grande majorité émigré après la prise de pouvoir de Castro.

L’idée de mettre en scène un mafieux retraité sur la fin de sa vie – le récit se passe en 1982, Lansky meurt en 1983 – renouvelle un peu le genre et offre un regard décalé. Jonathan Lang montre sa maîtrise de l’histoire de Lansky et de sa légende et s’amuse avec en faisant dans une scène explicitement référence au personnage d’Hyman Roth et à sa présence dans le Parrain II. Andrea Mutti, le dessinateur place également des easter eggs qui font référence à Fabrice Sapolsky, éditeur du label H1 ou encore au scénariste Jonathan Lang dont le nom apparaît dans une des cases. L’appartenance de Meyer Lansky à la communauté juive est prégnante dans ce récit avec les têtes de chapitre qui commencent toutes par un proverbe yiddish, l’utilisation du vocabulaire yiddish et l’attachement de Meyer à la terre d’Israël où il souhaiterait finir ces jours. J’ai bien aimé cet aspect qui permet de mieux s’imprégner de cette histoire et donne vraiment envie de se documenter sur le sujet.

J’ai par contre été peu séduite par le dessin assez réaliste mais sans grande originalité d’Andrea Mutti, la colorisation est un peu trop vive et les décors pas assez fouillés pour donner un peu d’épaisseur au récit. J’ai eu un peu de mal à accrocher à l’histoire, en grande partie de ce fait.

Alors, convaincus ?

La thématique est intéressante et renouvelle un peu le genre du récit mafieux classique. Les nombreuses références glissées ici et là sont plaisantes à noter, comme dans un jeu de piste et cette histoire remet à l’honneur la figure de Meyer Lansky. Toutefois, je me demande si un lecteur qui ne connaîtrait rien au sujet accrocherait à ce récit qui est parfois un peu trop autoréférencé pour un néophyte. On a peu le temps, au milieu des courses poursuites et des explosions de s’attacher aux personnages et de bien rentrer dans la trame du récit et c’est un peu dommage.

Sonia Dollinger

L’avis de Thomas

Dès les premières cases, on est dans un polar qui m’a fait penser à Ross McDonald pour le mystère au soleil. Le récit est en partie raconté par Meyer. J’ai été au départ séduit par ce criminel atypique. Il n’est pas un jeune italien avide de succès, comme dans la plupart des films, mais un vieil immigré juif. Loin d’être un détail, c’est un élément fort du récit. Chaque chapitre s’ouvre par un proverbe yiddish. Cela se voit aussi dans les dessins comme une photo d’un juif en tenue traditionaliste – son père rabbin ? – mais aussi dans la langue. Meyer récite la prière des morts, le kaddich, et a recours à de (trop) nombreux mots yiddish. Il avait d’ailleurs prévu de finir sa vie dans une maison de retraite en Floride comme de nombreux Juifs américains. Par le récit de son passé, j’ai d’ailleurs découvert qu’il existait un antisémitisme même dans le milieu du crime. Les rituels religieux sont assez présents car, plus loin, un tueur récite une prière chrétienne avant de faire son travail. La vieillesse est aussi un changement. Dans la maison de retraite, les pensionnaires sont figés dans leur canapé à écouter une émission de radio sur le cimetière des éléphants. Meyer vit dans le souvenir de sa gloire passée. On découvre la collusion entre l’armée et le crime organisé pendant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, Meyer n’est pas si gâteux, comme le montre sa fuite de la maison de retraite. Je trouve même qu’il n’est pas assez marqué par l’âge car il ne semble jamais diminué.

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J’ai aussi apprécié la découverte d’une région, la Floride. L’immigration cubaine se voit pour les petits boulots méprisés – des surveillants de la maison de retraite – mais aussi pour le crime – une colombienne est cheffe de gang. J’ai même appris l’existence des jubains, les juifs cubains. Venu de cette île, David est un immigré récent qui, exclu de la société, bascule dans la petite criminalité. Le pardon n’existe plus : sa mère est renvoyée de son travail au lycée en raison des problèmes de son fils. Étrangement, on ne découvre son nom qu’au deuxième épisode. Meyer l’arnaque car il a besoin de lui. Loin d’être des héros, ces deux migrants pensent que la fuite est souvent la meilleure solution quand la menace arrive. Avec David, on est dans la tradition du polar d’humour à la Donald Westlake : l’apprenti mafieux choisit le pire chemin de fuite, le bassin des crocodiles.

Au fil des recherches de Meyer, les ennemis se multiplient : les mafieux mais aussi les gardiens de l’hospice veulent le retrouver pour éviter d’être renvoyés. Ces criminels sont conditionnés par le cinéma : un mafieux embrasse avant de tuer pour faire comme dans Le Parrain. Cependant, j’ai trouvé que ces mafieux tuent trop facilement sans jamais que la police agisse. Au fil des pages, j’ai trouvé que le récit perdait son rythme. L’action, trop rapide, ne permet pas de poser les personnalités de chacun. La fin m’a d’ailleurs surpris car, comme dans un livre sioniste, Meyer fait tout cela pour rentrer en Israël.

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Alors que le scénario tente d’être original, le dessin d’Andrea Mutti est banal. Son côté vif et réaliste m’a fait penser à Trevor Hairshine. Elle réalise une belle pleine page dans une mise en page sans bord de case. Les couleurs vives correspondent parfaitement à la région où se déroule l’action. Cependant, des cases sont bâclées en cours d’épisode. Les Humanoïdes proposent cependant des bonus intéressants : un lexique yiddish et les dessins préparatoires sur les personnages.

Alors, convaincus ?

Meyer est une plongée intéressante dans l’histoire d’un mafieux juif. J’ai bien aimé l’aspect régional de cette série avec les minorités, les paysages et les lieux de l’action. Cependant, le scénario n’arrive pas à maintenir le bon départ et se noie en partie dans le bayou de Floride.

Thomas Savidan

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