Ninjak est un des rares héros de l’univers Valiant que je n’avais pas lu et seule Sonia avait chroniqué le premier tome. Voyant l’arrivée d’un récit complet et la présence de grands dessinateurs, j’ai eu envie de le découvrir.
Un résumé pour la route
L’ensemble des quatorze épisodes est écrit par Christos Gage (Spider-Man, Buffy, Bloodshot). J’adore les dessinateurs que je retrouve ici : Tomás Giorello (X-O Manowar), Juan José Ryp (Britannia), Roberto de la Torre (Shadowman, Doctor Mirage) principalement. La série Ninja-K 1 à 14 a été publiée entre novembre 2017 et décembre 2018 par Valiant aux États-Unis et ce volume est sorti en France chez Bliss le 19 avril.
Colin King a perdu très jeune ses parents. Repéré par le MI-6, il est devenu le tueur attitré des services secrets britanniques et travaille désormais en freelance. Cependant, sa vie s’est assombrie depuis qu’il a perdu son manoir et donc tous les souvenirs familiaux.
On en dit quoi sur Comics have the Power ?
Toute la série Ninja-K en un seul volume a presque la taille d’une intégrale et compile trois récits différents – Les dossiers Ninja, Coalition et Répercussion. Le premier récit suit à la fois le présent et les histoires des ninjas passés. En quelques pages, Christos Gage retrace l’arbre généalogique des ninjas et fait ainsi remonter le concept dans le temps. Cette technique de multiplier les versions m’a fait penser aux Iron Fist ou à XO-Manowar. La lignée de ces espions a commencé au début du XXe siècle lors de l’envoi d’un soldat par les Japonais au début de l’alliance avec le R.U. Ninja-A a servi l’Empire et a formé Ninja-B mais pas entièrement car le Japon a changé d’alliance. Manquant d’assurance dans les arts martiaux, c’est B qui a complété la formation en ajoutant la technologie. Inévitablement, A et B s’affrontent. Le MI-6 pérennise l’action en créant un centre de formation par des jonins, des ninjas supérieurs. Tout est raconté par D à K. Ce récit est relié au présent car, dans les scènes d’action, on comprend que Colin applique les leçons de D. Dans le second run, Gage introduit la ninja G, une afro-anglaise vivant dans les années 1970. Elle devient la première femme ninja mais elle refuse d’apprendre à séduire – l’idée très contemporaine du consentement alors que sa tenue m’a fait penser à la Blackexploitation. Gage a d’ailleurs choisi pour chaque ninja un Némésis en fonction du contexte international mais surtout de la littérature populaire du moment – Lady Mascarade était une femme fatale de pulp, Diévotchka, une espionne russe. Tous ces codes font nécessairement penser à 007 alors que les récits du passé font très pulp. Cette généalogie n’est pas gratuite car un tueur exécute les anciens ninjas en utilisant les mêmes techniques qu’eux. Le premier run racontant la chasse de ce tueur est un moyen pour le scénariste de s’approprier cet univers. On est plongé dans une ambiance d’espionnage old school bien agréable avec des groupes secrets et des menaces exotiques – Lady Mascarade peut prendre tous les visages et forme un couple entre l’amour et la haine avec D. Au fil de la lecture, j’ai progressivement apprécié le concept du mélange entre combat de ninja, gadgets amusants et récit d’espionnage.
Ninja-K reprend des thèmes classiques de l’espionnage : on ne peut se fier à personne et aucune alliance n’est durable. L’espion doit donc toujours vivre dans le futur mais jamais dans le présent. Son chef Neville met en avant l’adrénaline du métier et le fait de ne pas nier la mort. Le lecteur est conforté dans ses stéréotypes. La base secrète est en montagne. Une phrase est même tirée de Mission impossible – « Si vous êtes capturés nous nierons avoir eu connaissance de vos activités. » Ce métier pose aussi la question du vieillissement – des agents ninjas, du programme lui-même et de Lady Mascarade. Cette dernière Lady a vieilli mais elle aurait préféré une mort rapide. En perdant son pouvoir, elle ressemble à une sorcière et, telle Marlene Dietrich, vit seule pour ne pas montrer sa déchéance. La jeunesse d’un espion n’est pas plus facile. Le gouvernement choisit des orphelins et les a entraînés à être des machines de guerre car selon C, « L’avantage de ne pas savoir qui on est, est que l’on peut devenir n’importe qui. » La chasse du tueur va aussi être une découverte du passé du programme ninja. Lors de la visite d’un centre d’entraînement en ruine, le décor se transforme au fur et à mesure que Ninjak décrypte les indices. La réalité devient le souvenir du passé car la puissance des souvenirs transforme le présent.
La difficulté d’avoir une vie personnelle quand on est un espion parcourt le volume. C devient un agent actif à 14 ans mais étant le seul agent formé, le bureau a tout fait pour l’isoler pour empêcher que les ninjas soient exposés à des idées ou des modes de vie qu’ils ne contrôlaient pas. On assiste en fait à la description d’un harcèlement moral. Chassé du MI-6, Ninjak perd son identité non seulement professionnelle mais aussi ses souvenirs depuis l’enfance après la perte de son château. Il ne sait plus qui il est. C’est un personnage très froid qui est prêt à tout pour une info. On en apprend un peu sur sa vie privée. Il a une relation compliquée avec Livewire. Espion, il vit entouré de trahison et a des difficultés à faire confiance. En effet, Le travail est un vampire qui aspire tout. G conseille à Ninjak de préserver sa vie privée en fuyant l’espionnage. Ninjak ne peut s’arrêter à cause du conditionnement et préfère agir. Selon son chef Neville Alcott, tout a changé depuis la guerre froide. Le monde est moins binaire et donc le MI6 a fait le ménage non pas dans un but de moralisation mais d’efficacité et d’adaptation à la géopolitique. L’inadaptation sociale de Colin vient de son boulot et non des autres. Alors que j’ai trouvé l’histoire du bureau plutôt agréable, la vie privée de Colin est plus fade.
Le second run est au départ très différent car, comme son titre l’indique, Ninjak va travailler en équipe. Mais il s’agit encore de la vengeance d’un ancien agent en colère. Ce récit relie les différentes séries Valiant. Le lecteur suit les séquelles géopolitiques de la guerre des armures dans l’intégrale X-O Manowar. Mexico ayant été rasée, le gouvernement et les cartels ont fait front commun pour s’armer en secret contre les surhumains. Ils utilisent des restes des chasseurs d’armures mais aussi de monstres du monde des morts de Shadowman. De plus, ils financent une alliance de super-vilains dont le jonin, Lincoln March croisé dans Doctor Mirage ou Kostiy l’immortelle d’Eternity. Contrairement à Marvel et DC, il est plaisant de parcourir cet univers restreint. On voit peu à peu se reconstituer Unity avec le retour de Gilad possédé par l’esprit de La mourante. L’arrivée à Mexico justifie en plus la nécessité de faire appel au robot géant d’X-O Manowar et au Doctor Mirage. Livewire et Ninjak sont de plus en plus chaleureux. Livewire protectrice est prête à venger un éventuel tueur de Ninjak mais Colin est plongé dans un conflit de loyauté – comme un enfant de parents divorcés – entre amour et amitié. Harbinger Wars : Blackout se déroule au cours du livre et les actions de Livewire provoquent des tensions croissantes entre eux mais subtilement. Le dernier récit explique d’ailleurs pourquoi Gilad était absent d’Harbinger Wars : Blackout. Ninjak impressionne toujours car il est prêt à tout – bombarder toute la zone pour détruire la coalition ennemie ou tuer un ami. Selon le MI-6, La Mourante se cache à Tchernobyl. Gage transforme ce lieu en un ghetto concentrant des exclus qui peuvent y survivre en faisant des réparations sans craindre les radiations. La Mourante en a sauvé certains et utilise les autres comme chair à canon mais le village accepte. Comme pour les actions de Ninjak, faut-il tout accepter pour sauver certains ?
A plusieurs reprises, la structure détruit l’individu. Dans Coalition, le ninja-H gravement blessé lors de sa première mission est transformé en cyborg mais il est possédé par ses implants. Comme dans Terminator, l’homme perd le contrôle de la machine. H devient schizophrène – divisé entre sa part humaine, morale et la part mécanique qui ne pense qu’à remplir sa mission. Devenu incontrôlable, le MI-6 l’a mis en sommeil artificiel mais une fois réveillé, il fait la démonstration que pour sauver l’Angleterre il faut détruire le MI-6. Ninja-K le force à faire face à la réalité – ce n’est pas la machine qui l’a corrompu mais il était perturbé dès l’enfance et le bureau l’a choisi pour cette raison. Ce récit a plus d’humour qui vient surtout de Punk Mambo, détestée par Ninjak – « c’est la glandeuse la moins professionnelle que je connaisse » mais je pense que ce qui embête cet aristocrate coincé c’est qu’elle dit tout ce qu’il lui passe par la tête. Il est aussi amusant de voir le doctor Mirage de l’extérieur – contrairement à la série, on ne voit pas Hwen et donc elle semble parler au plafond.
Je retrouve avec plaisir Tomás Giorello mais avec des visages carrés. L’encrage plus complexe crée plus de densité. Comme pour Harbinger Wars : Blackout, le changement de dessinateurs est intégré dans le récit. Cette répartition m’a même impressionné quand une page est coupée en deux avec deux dessinateurs. Dans l’épisode trois, Ariel Olivetti intervient au début et à la fin pour des aventures pendant la Première Guerre mondiale. Il m’a semblé qu’il utilise des photos (d’immeubles, d’avions…) retravaillées à la palette numérique. La texture très réaliste de la peau dans un style épuré contraste avec des plages de couleurs numériques. La mise en page est sans fioritures. Juan José Ryp illustre le deuxième arc. Je l’ai trouvé moins bon dans le présent que dans Britannia. La position figée des personnages en fait des mannequins alors que les expressions du visage sont trop exagérées. Le trait d’encrage est très épais et les couleurs sont ternes. Cependant, il réalise de belles scènes d’attaques et la mise en page en triangle est très jolie. Larry Stroman et Ryan Winn illustrent l’épisode dix par un dessin très conventionnel et assez banal. De la Torre illustre le dernier run mais avec un style très différent. Il est plus proche de Michael Lark dans Gotham central que de Jae Lee. Les couleurs sont plus variées et plus réalistes que dans Shadowman. Il est moins brillant qu’avant et moins épuré mais plus sale. Ses épisodes sont très agréables à lire même si sa personnalité graphique est moins affirmée. Se déroulant dans une ambiance horrifique à Tchernobyl, le dessinateur s’est adapté à ce récit sombre. J’ai pris à nouveau plaisir à retrouver les bonus – qui sont loin d’être anecdotiques – avec l’ensemble des couvertures dont les variantes mais surtout les croquis superbes de Giorello, Ryp et De la Torre. Sans la couleur, on ressent pour ce dernier l’ambiance encore plus polar.
Alors, convaincus ?
Ninja-K est le nouvel exemple que Bliss ne publie jamais de mauvais livre. Tout n’est pas parfait dans ce volume mais j’ai passé un bon moment de lecture. Le premier récit sous le prétexte d’une chasse au tueur d’espion décrit le rapport complexe entre le travail et la vie privée. Coalition est au départ le récit d’un échec. Le volume se conclut par une très belle fin. Colin est un homme qui se relève et oublie les obligations pour retrouver son identité. L’intervention très drôle de Punk Mambo m’a donné envie de lire la série solo qui sort bientôt.
Thomas S.
Article très complet et plaisant à lire, merci! Je découvre également Ninjak, et l’éditeur Valiant, et avec des thèmes plutôt classiques, j’y trouve un style général assez agréable. Reste Xo manowar à découvrir.
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Merci pour votre commentaire très motivant. C’est, selon moi, le meilleur éditeur actuel de comics. Tout n’est pas parfait mais rien n’est mauvais. On passe toujours un bon moment de lecture. Je suis curieux de savoir ce que vous pensez de la nouvelle série X-O Manowar qui est ma préférée de cet éditeur.
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Merci pour cette review très complète qui détaille en effet les très nombreux liens avec plusieurs séries Valiant et Harbringer wars 2. Pour info j’avais publié une critique ici https://etagereimaginaire.wordpress.com/2019/04/20/ninja-k/ et également la précédente série Ninjak.
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Merci beaucoup pour ces compliments et pour le lien vers votre chronique très intéressante également
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Merci pour ce commentaire et félicitations pour votre article tout aussi intéressant. Je dois avouer que j’ai préféré Thomas Giorello sur X-O Manowar mais peut-être suis-je plus sensible à la science-fiction qu’à l’espionnage.
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Oui son dessin sur x-o est superbe mais j’ai trouvé l’histoire vraiment linéaire et sans surprise, décevante. Comme quoi un bon album est toujours une alliance dessin/scenar
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