[Review] Quatrième monde tome 2

Après avoir été progressivement conquis par le premier tome du Quatrième monde, j’avais hâte de savoir si Kirby poursuivait avec talent sur sa folle lancée de quatre séries par mois.

Un résumé pour la route

Quatrieme_monde_1Comme pour le premier tome, le scénario et les dessins sont de Jack Kirby. Avec Joe Simon, il est le co-créateur de Captain America puis, avec Stan Lee, Les Quatre Fantastiques, Thor, Hulk, Les Vengeurs, Les X-Men. Le seul changement est l’encrage qui passe de Vince Colletta à Mike Royer. Le volume deux rassemble Superman’s Pal : Jimmy Olsen 141 à 145, The Forever People 4 à 6, The New Gods 4 à 6, Mister Miracle 4 à 6. Tout cela est publié entre août 1971 et janvier 1972. En France, les volumes sont publiés par Urban comics en décembre 2015.

Dans le premier tome, les liens entre les séries se sont peu à peu construits dans le premier volume où les différents héros doivent affronter les sbires humains ou extra-terrestres de Darkseid. Ils sont aidés par des êtres puissants venus de Neopolis.

On en dit quoi sur Comics have the Power ?

Les épisodes ont une structure assez simple car chaque récit se finit sur un ou deux épisodes mais, au-delà de la lutte commune contre Darkseid et ses généraux, je vois des liens thématiques entre les séries – ou est-ce l’improvisation qui conduit Jack Kirby sur les mêmes thèmes ? Le même mois, on retrouve des épisodes assez tristes, des aventures aquatiques ou de l’humour.

Comme s’il n’en faisait pas assez, Kirby dessine, à la fin de chaque épisode, en bonus de courts récits sur les origines ou sur d’autre personnages. Ce génie avait voulu pour Ragnarok chez Marvel des nouveaux dieux mais il sait que Marvel ne tuera jamais Thor et avait donc abandonné l’idée qu’il reprend en partie ici. Dans New Gods quatre, Orion fait un bûcher pour les morts comme ces dieux nordiques.

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L’auteur apporte une l’étrangeté dans le quatrième épisode des Forever People. Il transforme un parc d’attraction, lieu de plaisir, en un lieu de souffrance dans l’arrière-cour. Sur plusieurs attractions, la réalité est déformée pour faire souffrir – des prisonniers crient mais les visiteurs les voient rire. Cette série sur la jeunesse montre le désespoir des incompris en particulier pour le personnage de Serifan. Parlant toujours des problèmes de l’époque d’une manière indirecte, Desaad est présenté comme un drogué accro à la peur par la psycho-fugueuse, un aspirateur à peur.

Mister Miracle est la série qui m’a le plus emballé. Elle est très jouissive par son sujet, les débuts d’un illusionniste. N’en faisant pas un magicien, Kirby s’amuse à lui trouver les pièges les plus improbables. Scott Free explique ses trucs après coup mais, manquant de place sur un épisode, cela fait un peu court. On aime tous savoir les secrets des maîtres de l’évasion. Cette puissance est contrebalancée par une enfance sordide à la Dickens – parlant de Barda, Scott dit : « elle m’a aidé à fuir et depuis je n’arrête plus je suppose ». Contrairement à Jimmy Olsen, l’humour y est mieux réussi – Funky Flashman est un bourgeois du sud déclassé qui vit d’arnaque en se déguisant.

Barda est une Wonder Woman qui aurait été éduquée par des démons. C’est une femme indépendante et forte dans tous les sens du terme ce qui est assez rare à l’époque. Selon Mark Evanier, Barda serait l’incarnation de la femme de Kirby. Ailleurs, la place des femmes est encore très réduite : des secrétaires ou des victimes à sauver.

Orion est selon moi le personnage le plus intéressant de cette saga. Cet intégriste du bien accepte son rôle jusqu’au bout car il est prêt à user de violence et à tuer pour Néo Genesis. Cela en fait un personnage trouble. Il est très pessimiste alors que Lightray est l’immortel plus optimistes face à Orion.

Kirby approfondit la personnalité et les motivations de Darkseid qu’il improvise au fil du récit. Ce dictateur n’est plus une puissante brute mais un nihiliste poétique qui refuse la cruauté.

Je n’avais pas remarqué dans le premier volume combien l’auteur sait dessiner la peur et le désespoir sur les visages. Cela se voit en particulier pour les victimes du parc d’attraction. Son dessin est symbolique car il lui sert à exprimer ses idées de scénariste. On peut résumer l’art de Kirby par « l’effet Waow ». Quand je tourne une page, c’est le plus souvent ma réaction en regardant les dessins. Par exemple, le sixième épisode des Neo Gods est une splendeur. Devant certaines doubles pages j’ai été subjugué par la beauté des dessins avec des couleurs très vives, la perte de repères spatiaux mais surtout tout cela est fait avec une grande économie de traits. Kirby remplit le moindre espace par des traits simples sans lignes superflues et avec un dynamisme constant. Il arrive à faire des pages superbes tout en gardant du mouvement. Cela en fait pour moi un génie de la BD.

Quatrieme_monde_3Le Quatrième monde est un cocktail d’influences. Le Dr. Vundabar ressemble à un officier allemand de la Première Guerre mondiale et d’ailleurs la directrice de l’orphelinat explique qu’il a copié ce style terrien par admiration. Comme dans le premier volume, on ressent que la Seconde Guerre mondiale pendant laquelle Kirby a combattu est très présente. L’Anti-vie est le symbole du fascisme qui peut détruire le monde. On découvre plus tard que l’anti-vie est le pouvoir de contrôler les autres par la parole. Sonny Sumo l’exerce par un micro comme Hitler le faisait. J’y ai aussi vu un aspect autobiographique par la place marquante de la radio dans l’enfance du dessinateur. Les monstres marins dans New Gods font penser à Moby Dick dans le livre de Melville. Dans Mister Miracle, la résidence Mockingbird est destinée à attendre Godot, allusion théâtrale à Samuel Beckett puis plus tard une allusion est faite à Chaplin et au film Brigadoon d’Orson Wells.

On peut repérer quelques références visuelles avec le tortionnaire Desaad représenté à la manière d’un moine noir médiéval de la Hammer. Son addiction renvoie encore à cette figure du cinéma d’horreur. Il y a d’ailleurs de nombreux liens avec l’horreur dans ce volume. Dans Jimmy Olsen, Kirby joue avec les codes de Dracula : en voix off, il décrit comment un film de vampire des années 1950 doit se passer pour montrer ensuite que c’est un scientifique fou qui a créé une planète de monstres de films d’horreur. On peut y voir une parabole du projet de l’auteur dans le Quatrième Monde. Après Dracula, Jimmy Olsen partira à la recherche du Loch Ness. Comme des artistes brésiliens, Kirby est un anthropophage qui vole des références culturelles, les digère pour en faire autre chose.

L’épisode 6 des New Gods m’a particulièrement impressionné. Orion y est allié à des humains ce qui est un moyen scénaristique pour faciliter l’identification des lecteurs. A l’époque, la guerre au Vietnam est omniprésente dans les médias et la vie des Américains. Dans cet épisode, un des naufragés est un objecteur de conscience totalement incompris par son père. De la même manière, les Néo Dieux semblent blasés par la violence inhérente à la guerre. Kirby n’est pas un pacifiste absolu mais, par le changement d’attitude du père, il rend hommage à ceux qui refusent la violence et sont les vrais héros quand agir devient vital. Une double page, assez connue, m’a particulièrement marquée. Elle oppose deux vaisseaux fonçant l’un sur l’autre avec le mal à gauche et le bien à droite. On trouve autour un texte cryptique. Cela résume bien la splendeur graphique et la folie du Quatrième monde.

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Lire un comics ancien c’est parfois être perdu dans le temps. Dans la série Jimmy Olsen, il y a par exemple plusieurs épisodes avec Don Rickles, humoriste américain aujourd’hui inconnu (merci Google de m’avoir aidé à comprendre) mais Jimmy Olsen n’est vraiment pas la meilleure série. On a l’impression que Kirby y place pour toutes les contraintes pour se libérer ailleurs. A la fin du volume, il semble plus à l’aise et s’amuse à tout essayer en réussissant à raconter sur un épisode trois récits dans trois lieux en même temps.

De la même manière, le personnage de Sonny Sumo dans Forever People donne une vision caricaturale des Asiatiques et un peu raciste bien que ce personnage soit du côté des bons – on sort du méchant Fu Manchu des récits pulps – et très puissant. Au fil des pages, son personnage s’améliore un peu : Sumo est celui qui a la formule de l’anti-vie. Comme dans Docteur Strange et de nombreux pulps de l’époque, le mystère est en Asie.

Urban comics fournit une belle édition. Chaque épisode commence par une copie de la couverture et le livre intègre une préface – Grant Morrison dans le premier volume puis Walter Simonson ici – et une postface d’un collaborateur de Kirby, Mark Evanier. Walter Simonson nous donne ici une autre interprétation du Quatrième monde : chaque série serait une vision différente du récit général sur la guerre : les New Gods font leur devoir mais savent que la guerre est une boucherie, se pensant immortels, les Forever People sont des jeunes qui découvrent le conflit et y voient une aventure, Mister Miracle est un objecteur de conscience et veut s’enfuir du conflit, Orion montre les effets de la guerre sur les mortels.

Alors, convaincus ?

Le deuxième volume est tout aussi passionnant que la fin du premier volume. En dehors de Jimmy Olsen, les différentes séries gagnent en profondeur. J’ai un faible particulier pour Orion et surtout pour Mister Miracle.

Thomas S.

 

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