[interview] William Blanc, l’historien du Moyen Age spécialiste des comics

A l’occasion du passage de William Blanc à Beaune pour sa conférence sur le mythe arthurien, j’ai pu interviewer l’historien sur son prochain ouvrage intitulé Super-héros, une histoire politique qui paraît aux éditions Libertalia. C’est l’occasion d’en savoir plus sur ce médiéviste passionné de comics et de culture populaire au sens large.

Bonjour William, avant tout, j’aurais aimé savoir pourquoi un historien spécialiste du Moyen Age s’intéresse aux comics ?

Super_hérosJe suis bien sûr fan de comics, mais c’est le Moyen Age qui m’a permis, en tant qu’historien de revenir sur le sujet de manière différente. Dès l’origine, les super-héros représentent une forme d’anti-Moyen Age. Depuis le XIXe siècle, la plupart des gens assimilent en effet cette période à une époque négative, barbare, et l’associent aux courants de pensée réactionnaire. A l’inverse, Superman, représente l’homme de demain. Venu d’une  planète futuriste, il promet de faire avancer la civilisation vers un avenir radieux. Son arrivée aux Etats-Unis permet d’assimiler ce pays à la nation qui a déjà un pied dans le futur alors que le reste du monde est encore plongé dans un « Moyen âge » politique et économique. Wonder Woman obéit à une logique similaire.

A l’inverse, d’autres super-héros sont comparés à des personnages du Moyen Age : le premier groupe de super-héros, la JSA (Justice Society of America) se réunit autour d’une table ronde. C’est une allusion très claire à la Table Ronde du mythe arthurien. Cette image chevaleresque, positive cette fois, est très présente chez tous les groupes de super-héros, des Vengeurs aux X-Men en passant, évidemment, par Excalibur.

Donc en fait, il y a un lien direct entre ton précédent ouvrage sur le mythe arthurien et ce nouveau livre sur les super-héros ?

Bien sûr, le nouvel ouvrage se situe dans la continuité du précédent, même si évidemment je ne me suis pas contenté d’aborder cet aspect. Je parle aussi, par exemple, de Black Panther, de Luke Cage, d’Howard the duck.

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En te lisant, on s’aperçoit aussi que ces auteurs de comics ont des références littéraires sur le Moyen Age ou se fabriquent un Moyen Age fantasmé. 

Oui, ce sont des gens qui lisaient, qui regardaient des films et qui avaient aussi une conscience politique. C’est très net lorsque Dennis O’Neil et Neal Adams proposent à la fin des années 60 leur version de Green Arrow : on y discerne à la fois une allusion au film Robin des Bois de 1938 avec Errol Flynn, mais aussi un hommage à une figure médiévale qui a été longtemps associée à la gauche.

Donc, si on t’écoute et si on lit bien le titre de ton ouvrage, on est bien d’accord que les super-héros parlent de politique et que ce n’est pas nouveau contrairement à ce que certains ont l’air de dire.

Oui, bien sûr, je ne suis pas le premier à le dire, les super-héros sont politiques depuis le début et sont très nettement liés, durant l’âge d’or du moins, soit, pour simplifier, entre 1938 et 1954, à un discours progressiste. La plupart des auteurs de comics au début viennent de milieux modestes, d’immigration récente, principalement d’immigration juive venue d’Europe. Or, parce qu’ils craignent la montée du racisme, beaucoup d’entre eux sont proches des milieux de gauche et se servent des comics pour faire passer des messages appelant à plus de justice sociale. Dans l’une de ses premières apparitions, Superman va ainsi dans une mine pour faire la leçon au patron qui ne respecte pas les consignes de sécurité et met ses mineurs en danger. Donc évidemment les comics sont politiques et ils le sont encore plus aujourd’hui : il suffit d’ouvrir Secret Empire qui est très nettement une fable anti-Trump.

On parle de la version progressiste des comics mais existe-t-il des comics plus réactionnaires ?

portrait_WBOui, bien sûr. Le Punisher constitue un exemple assez parlant. Il a été clairement créé comme un personnage négatif par Gerry Conway : c’est un ancien militaire qui, en rentrant du Vietnam, veut « nettoyer » l’Amérique de ses « mauvais éléments » (comprendre, les jeunes, les hippies, associés dans son esprit à des criminels) qui la mettent, selon lui, en danger. Durant les années 80, il devient un personnage positif, à un moment où la NRA (National Rifle Association) connaît une révolution interne avec une prise de pouvoir d’une tendance réactionnaire qui milite pour la dérégulation du port d’arme. Le Punisher, anti-héros surarmé, accompagne ce mouvement politique de fond dont on voit aujourd’hui les résultats aux Etats-Unis.

Les auteurs de comics ne sont pas les seuls à utiliser politiquement les super-héros. Les lecteurs et les lectrices jouent aussi un rôle important. Des militaires utilisent ainsi régulièrement l’image du Punisher, notamment en zone de combat. L’exemple le plus connu, c’est Chris Kyle, dont la vie a inspiré le fameux film American Sniper. Lui et les membres de son unité portaient sur leurs uniformes le logo du Punisher pour terrifier leurs adversaires durant la seconde guerre d’Irak. C’est devenu un usage assez récurrent, ça va même tellement loin que Rodrigo Duterte, le président philippin ultra réactionnaire, a été surnommé le Punisher. Un de ses partisans lui a d’ailleurs récemment offert une figurine à son effigie où il est déguisé en Punisher.

Bref, tu l’auras compris, le but du livre n’est pas de dire que les super-héros sont tous progressistes. Les comics sont un reflet de la société, une caisse de résonance qui a ensuite des effets sur le réel…

Que penses-tu du fait qu’on a tendance à féminiser certains personnages comme Thor ?

Je pense sincèrement que ce phénomène fait écho à une révolution silencieuse mais importante : en l’espace de 20 ou 30 ans, les armées se sont féminisées. Depuis la fin de la présidence Obama, tous les postes, y compris les postes de combattants, sont ouverts aux femmes. Et ce phénomène ne touche pas que les Etats-Unis. Certes, l’apparition des personnages de guerrières a commencé avant mais leur multiplication récente renvoie à cette féminisation des armées. Thor en femme, ça va de pair avec Lagertha dans la série Vikings. Cette évolution est contestée par une partie du lectorat mais il y a bien eu un Thor extra-terrestre, Beta Ray Bill et une grenouille, Throg. Pourquoi pas une femme ?

Revenons maintenant un peu à toi, tu es un lecteur de comics depuis toujours, peux-tu nous dire ce qui t’a marqué dans tes lectures ?

Je ne vais pas être très original, j’ai acheté des Strange, des Titans, des Spidey… dans les nombreux récits que j’ai pu y lire, celui consacré à l’Escadron Suprême écrit par Mark Gruenwald m’a vraiment bouleversé. L’auteur y pousse la logique des super-héros futuriste jusqu’à son terme : amener un avenir radieux revient à créer une utopie. Mais que se passe-t-il après ? Les populations seront-elles d’accord si un groupe de super-héros tente d’imposer, armé certes des meilleurs intentions du monde, une société « parfaite » (si tant est que cela existe) ? La complexité du récit de la mini-série de l’Escadron Suprême méritait donc que je lui consacre un chapitre. Cela permet en plus de sortir un peu de sentiers battus et de montrer aux lecteurs que la politique dans les comics ne se limite pas aux X-Men ou aux Watchmen.

Peut-on dire un petit mot de la personne qui a rédigé la préface de ton livre, Xavier Fournier ?

Bien sûr, déjà pour le remercier ! Xavier est un véritable historien des comics et son livre, Super-héros, une histoire française, m’a beaucoup marqué. Il a une telle connaissance et un tel degré de réflexion que c’est toujours très agréable de travailler avec lui. Le chapitre sur les super-héros LGBT – entre autres – lui doit beaucoup.

Un petit mot pour finir ?

J’ai hâte d’échanger avec les autres fans de comics, même pour me dire qu’ils ne sont pas d’accord, même pour dire « vous avez oublié ça » parce que forcément je suis passé à côté de certains éléments, c’est une évidence. Mon ouvrage n’est qu’une porte d’entrée. J’espère sincèrement qu’il va susciter des débats et, qui sait, d’autres ouvrages.

Un grand merci à William Blanc pour sa disponibilité et cet échange passionnant !

 

Sonia D.

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