Depuis 1939, les scénaristes promènent Batman dans des univers multiples, sur Terre comme dans l’espace mais le chevalier noir reste malgré tout associé à sa bonne ville de Gotham City, aussi sombre que l’homme chauve-souris. Que peut-on donc bien proposer de neuf lorsqu’on choisit de présenter un énième affrontement entre Batman et sa Némésis favorite, le Joker ? Et pourquoi ne pas les entraîner tous les deux dans une enquête commune dans des lieux inhabituels, allez hop direction l’Europe mais est-ce vraiment une si bonne idée ?
Un résumé pour la route
Batman Europa est scénarisé par Matteo Casali et Brian Azzarello avec au dessin un panel composé de Jim Lee, Giuseppe Camuncoli, Diego Latorre et Gérald Parel. La série, composée de quatre épisodes parus chez DC Comics entre janvier et avril 2016 aux Etats-Unis. En France, la série paraît chez Urban Comics dans le récit complet Batman n°8 en août 2018.
Une fois de plus, Batman affronte Killer Croc mais, alors qu’il pense le battre facilement, le chevalier noir peine : ses coups sont lents et il a du mal à récupérer. L’homme chauve-souris rentre avec difficulté au manoir Wayne et retrouve son fidèle Alfred. Le verdict tombe : Batman est infecté par un mystérieux virus dénommé Colossus qui le tue à petit feu. Une course contre-la-montre s’engage afin de trouver le responsable et l’antidote mais, Bruce ne sera pas seul dans sa quête et aura pour allié un de ses pires adversaires.
On en dit quoi sur Comics have the Power ?
Batman Europa est une mini-série en quatre épisodes, pas le temps donc de développer une intrigue très fouillée. C’est avant tout un prétexte pour Jim Lee d’envoyer Batman dans certaines capitales européennes et, pour ce faire, de s’entourer d’une flopée d’artistes de grand talent, qu’il s’agisse du brillant scénariste Brian Azzarello ou de dessinateurs tous plus doués les uns que les autres.
Côté histoire, disons le tout de suite, la trame générale n’est pas très recherchée : Batman et le Joker sont infectés tous les deux par le même virus mortel et doivent coopérer pour avoir une chance de survie. Le chevalier noir a déjà été plusieurs fois confronté à des virus aux effets divers et ce n’est pas non plus la première fois qu’il doit s’allier à son pire ennemi. On sent bien que ce choix est très artificiel et l’histoire en pâtit un peu : on voit très bien qu’il ne s’agit que d’une occasion de faire voyager les protagonistes dans un environnement inhabituel. L’intérêt réside surtout dans la manière dont Matteo Casali et Brian Azzarello présentent les différents lieux où se rendent Batman et le Joker. On commence par Berlin avec une pleine page flamboyante de la porte de Brandebourg accompagnée d’un discours rappelant la Seconde Guerre mondiale puis la guerre froide et le rôle joué par l’Allemagne dans les drames du XXe siècle, on sent tout le poids de l’Histoire peser à travers le texte fort bien écrit de Casali et Azzarello. L’ambiance générale a un parfum de guerre froide et de roman d’espionnage teinté d’une horreur dont le Joker se repaît.
La deuxième ville visitée, Prague est à nouveau l’occasion pour les auteurs de revenir sur l’histoire contemporaine de la cité en appuyant sur les atrocités commises par les Soviétiques sous les yeux impuissants du monde entier. On sent que les artistes ont bien révisé l’histoire du pays, y compris le folklore local puisque nos deux protagonistes vont devoir affronter des automates qui sont l’attraction de l’horloge de Prague. Giuseppe Camoncoli en fait d’ailleurs des créatures proprement effrayantes – oui, je n’aime ni les poupées, ni les automates qui affichent un rire sardonique !
On file ensuite à Paris avec, en ouverture, une planche de toute beauté de Diego Latorre qui nous présente Notre-Dame de Paris d’où l’on s’attend à voir surgir Quasimodo. On déroule ensuite tous les lieux touristiques de la Tour Eiffel au Moulin Rouge en passant par le Louvre. Casali et Azzarello suggèrent des origines françaises au Joker, pourquoi pas une future piste à explorer pour de futurs récits plus développés ? Le Joker tourne d’ailleurs en dérision la bourgeoisie parisienne, entichée de bizarreries et d’originalité au point qu’elle plébiscite la violence pour se distraire de la vacuité de son existence.
L’aventure se termine à Rome et sans en dire davantage, on peut noter là encore que les auteurs récitent leurs classiques en rendant hommage à la ville phare de l’Antiquité. La conclusion est assez attendue et sans réelle imagination, les scénaristes se permettant un clin d’œil appuyé au récit majeur qu’est The Killing Joke. d’Alan Moore et Brian Bolland.
Ainsi, si les références historiques ne sont pas très subtiles et montrent une vision assez « touristique » des villes visitées, notons que le récit est très bien écrit et bien traduit par Xavier Hanart, ce qui nous permet de lire un texte plutôt poétique et d’un romantisme désespéré qui sied assez bien aux endroits visités. Cependant, on a une vision assez biaisée des villes visitées qui ne sont vues que par leurs monuments emblématiques… ou leurs égouts que les deux antagonistes visitent en long et en large.
Graphiquement, c’est magnifique, chaque dessinateur magnifiant la cité dont il est responsable et donnant un aspect noir et gothique à Batman et au Joker. On a même presque l’impression d’une progression, passant des planches assez nettes et claires d’un Jim Lee qui use du gros plan avec réussite aux planches beaucoup plus troubles et plus sombres de Gérald Parel qui présente dans une case un Batman presque similaire à celui du grand Jim Lee au début du récit : faut-il y voir une épanadiplose volontaire ?
Alors, convaincus ?
Si l’aspect un peu téléphoné du récit peut, a priori, décevoir, j’ai tout de même trouvé de très belles choses dans cette mini-série. Assurément pas l’originalité, je vous l’accorde mais cette mini-série est très bien écrite et fort bien illustrée par les différents dessinateurs qui se succèdent sur le titre. Les relations entre Batman et le Joker sont toujours les mêmes : provocation, haine, fascination, rien de bien neuf là encore mais tout est dans l’écriture. La manière dont les scénaristes présentent les différentes capitales en dit long sur leurs représentations personnelles et c’est surtout en cela que Batman Europa présente un intérêt. A vous de voir si ce voyage vaut le détour, mais son prix relativement abordable (5,90 €) peut vous convaincre de prendre votre billet pour cette tournée européenne.
Sonia D.
Assez convaincu. Merci!
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