A l’occasion de la réimpression de cette première intégrale par Panini, j’ai relu ce volume des premières aventures en solo du griffu canadien. Il est aussi temps de réparer une injustice car nous n’avons jamais chroniqué un seul livre de ce héros pourtant majeur de Marvel.
Une petite présentation
Comme pour la Panthère noire, il s’agit d’une vraie intégrale qui part de la tout première apparition de Wolverine dans l’épisode 181 de Hulk en novembre 1974 par Len Wein et Herb Trimble. Ensuite, on retrouve la célèbre mini-série de Chris Claremont et Frank Miller de 1982 puis un épisode promotionnel, une mini-série Marvel présents Wolverine et enfin les cinq premiers épisodes de la série par de Chris Claremont et John Buscema de 1988 et 1989.
Dans les années 1980, les X-Men sont la locomotive créative et financière de Marvel. La compagnie pousse à multiplier les séries avec les Nouveaux Mutants (des jeunes mutants en formations), Facteur X (les X-Men d’origine se remettent ensemble à l’occasion du retour de Jean Grey) et Excalibur (à la suite du crossover Fall of the mutants, des X-Men se retrouvent en Angleterre et vont y créer une nouvelle équipe) mais Wolverine est la première série sur un X-Men en solo.
On en dit quoi sur Comics have the Power ?
Ce que j’ai trouvé le plus intéressant dans cette intégrale avec des équipes créatives et des dates très différentes, c’est de lire les différentes interprétations de Wolverine.
La première est tout d’abord celle de Wein et Trimble. Le super-héros canadien est très différent du personnage que l’on connaît. On n’est déjà par sûr qu’il soit un mutant. On ne parle pas encore de pouvoir guérisseur ni de squelette en adamantium. Il ressemble à un Spider-Man canadien – il est très bavard et agile avec ses griffes. Il est roublard et combat comme un singe plutôt qu’un félin. Le dessin de Trimble, très simpliste, reste agréable à lire grâce à des jolies couleurs pop adaptées au thème léger. Il n’y a ici rien de mémorable sauf que Wolverine devient très populaire grâce aux X-Men.
Avec la mini-série Wolverine de Claremont et Miller, on est à un tout autre niveau. Pour ces deux géants, c’est un moyen de complexifier un personnage hors de son équipe. Wolverine n’est plus du tout un blagueur mais un samouraï silencieux en quête de reconnaissance et un animal blessé. Logan plus crédible guérit moins vite, souffre plus que dans les épisodes récents et cela rend le personnage bien plus intéressant.
Dès le premier épisode, Logan chute. Il est humilié par le père de Mariko, son amoureuse, qui dirige un clan mafieux à Tokyo. La force brute ne fait pas tout. On assiste à la chute du héros qui avait pourtant écrasé un grizzly en début d’épisode. Deux femmes que tout oppose aiment le même homme. Yukio est libre et sauvage alors que Mariko est sage mais enfermée dans le respect des traditions. Mariko découvre la violence sauvage de son amoureux et Wolverine en a alors honte. Rejeté, Logan se noie dans l’alcool mais il veut reconquérir Mariko. Les deux femmes du récit reflètent l’esprit de Logan – la part sauvage par Yukio et la volonté de sagesse par Mariko – mais cherche-t-on la femme qui nous ressemble ou celle qui nous élève ? Le récit est bâti sur les contraires – la trahison du père qui est prêt à tout pour le pouvoir et le code moral absolu de sa fille Mariko, la violence des hommes et de Yukio face au calme constant de Mariko, la violence injuste du mari de Mariko et de son père face à la juste colère de Wolverine, la folie de Yukio contre la sagesse de Mariko.
Claremont mêle action et réflexion à merveille. On est absorbé très vite par l’organisation du récit est originale. Il n’y a pas forcément un enchaînement complet entre les cases mais c’est le récit de Logan en voix off qui crée le lien. De plus, en ne montrant pas toutes les actions de combat mais plutôt des flashs au bon moment, cela laisse plus de place pour les pensées de Logan. On pénètre l’intérieur de la bête qui se révèle plus complexe. Au début, Logan est un prédateur qui lutte contre un grizzly mais ce n’est pas une rage aveugle. Logan préfère éviter de tuer les bêtes mais il n’a aucun remord pour les hommes qui agressent ces animaux.
Plonger Wolverine au Japon est une très bonne idée. Ce mutant qui suit ses instincts est en totale contradiction avec la société japonaise respectant un code moral strict. Dans un rêve, Logan se voit en samouraï médiéval venant délivrer Mariko mais il devient un cauchemar quand son aimée le tue car il n’est pas digne. On y lit l’influence des films de Kurozawa plus que des films de kung-fu. Claremont et Miller ne veulent pas faire un récit exotique mais un vrai récit d’honneur et de vengeance à la manière d’un film japonais. Par exemple, dans le deuxième épisode, on voit un jardin zen mais il n’est pas là pour faire joli – souillé lors des combats, il sert à montrer les âmes sombres de Logan et Yukio. Le récit est une quête de légitimité. Logan doit accéder à la civilisation en étant reconnu comme digne par son aimée. La vie n’est pas un destin donné d’avance mais un chemin vers l’amélioration. Il est très original que la sauvagerie soit occidentale et la civilisation asiatique.
L’alliance entre le texte et l’image est brillante. Lors du combat avec le père de Mariko, la scène est à la fois rapide par la mise en page dans toutes les directions mais aussi solennelle par l’absence d’onomatopées ou de dialogue et par la présence du texte.
Le dessin de Miller est superbe. Les visages sont encore très réalistes et les cases variées. On passe d’un plan large sur une zone de combat à un plan rapproché sur des combattants et même un élément du corps humain comme sur l’image de l’épisode un où Wolverine s’équipe. Il sait très bien jouer sur les ombres. Miller ne surcharge pas les pages qui sont organisées autour de quelques grandes cases et un vide autour. Il joue entre la précision des visages, et des certains éléments du décor et des grands aplats. On retrouve des aplats unis pour le fond en particulier lors des combats. Ces superbes couleurs servent à montrer les sentiments comme dans l’épisode un où en passant du rouge au vert le dessin montre que Mariko efface la rage de Logan. Comme dans le Wonder Woman de George Perez, plusieurs pages sont organisées autour de longues cases verticales mais chaque page est différente.
Cette première intégrale se termine par l’interprétation de Wolverine par Claremont et Buscema. Marvel presents ressemble à un run d’essai avec des épisodes très courts de 8 pages avant de lancer plus sérieusement la série. L’histoire est racontée par Logan en voix off mais le ton est ici plus violent. Wolverine est ici un aventurier digne d’un film américain des années 1950. Malgré un joli paysage au début – une vue générale de Madripoor illustrant l’inégalité sociale entre ville haute et ville basse – j’ai au départ eu beaucoup de mal avec le dessin qui, après le superbe travail de Miller, m’a semblé bâclé. Est-ce parce que ces petits épisodes n’étaient pas prioritaires pour Buscema ? Le dessin au gros feutre fait très seventies. Il semble inachevé avec des coups de crayons encore visibles, des aplats de couleurs très contrastés, des costumes assez ringards pour les hommes ou les tenues punk des gangs. Le nouveau costume de Logan est trop simple – un simple masque sur les yeux. L’action se déroule à Madripoor en théorie en 1988 mais l’ambiance ressemble aux années 1950. Contrairement à la mini-série précédente, Claremont joue plus sur l’exotisme. On est plus proche d’un distrayant film de gangsters chinois. Il y a aussi le rappel constant des pouvoirs de Logan qui énerve aujourd’hui où le lecteur peut tout trouver en quelques clics. Les méchants ont peu d’envergure et sont un peu ridicules – Razorfist est un méchant de série Z avec des lames à la place des mains. Saphir Stix, une rousse vampire et digne des vamps des années 1940 est une meilleure ennemie. Claremont réalise un récit de genre sur la mafia assez correct mais qui souffre de la comparaison avec l’arc précédent. En effet, on en apprend peu sur Logan mais j’ai adoré une technique scénaristique. Alors qu’à l’époque les X-Men sont inspirés des soap, Wolverine est plus un pulp. Claremont ne lâche jamais un personnage. Par exemple, lors de quelques cases des X-Men, Jessan Haon a été une victime des Reavers. Claremont en fait ici un caïd montant de la pègre. Il transforme une case des X-Men pour expliquer ce revirement – Prettyboy a mêlé son âme à celle de la calme banquière qui est devenue violente. Elle veut détruire Roche, le commanditaire de l’attaque. Plus loin dans la série, on retrouve Jessica Drew, sa coloc, le Samouraï d’argent et Karma. Dans la même logique, l’action tourne autour des mêmes lieux un peu comme une série télé pour créer un univers. L’objectif différent de la mini-série avec Miller où l’idée était de changer la perception sur Logan.
Avec la série régulière, le récit s’améliore. Logan part à la recherche du sabre familial de la famille Yoshida qui pervertit ceux qui le touchent. On est dans un exotisme avec des mystères en Asie comme le Docteur Strange de Ditko, un sacrifice humain et des costumes étranges. J’ai pris un réel plaisir à suivre cette quête. Il n’y a plus d’avalanche de rebondissements car les épisodes plus longs permettent d’installer l’histoire. A partir de l’épisode trois, on reste toujours dans une ambiance ciné mais on passe au polar horrifique. Sans contrainte Claremont s’amuse et nous avec. C’est certes superficiel mais tellement agréable à lire. Claremont s’exprime sur la longueur et on est progressivement pris dans les tourments moraux de Logan. Faut-il soutenir un caïd juste parce qu’il est moins sanguinaire que les autres ? comme avec Miller, la dualité entre bien et mal est le fil rouge du personnage. De plus, les ennemis sont moins caricaturaux – des caïds aidés d’un gros dur si misogyne qu’il en devient ridicule et un vampire.
Le dessin moins est de moins en moins bâclé. Même si Buscema a du mal avec les matières – l’armure du samouraï est plus d’aluminium que d’argent semble plus impliqué avec des scènes d’action réussies. Dans l’épisode trois, toutes les scènes extérieures baignent dans un effet de brouillard simple mais efficace.
Alors, convaincus ?
Assez sceptique au départ car je craignais un album compilant un peu tout et n’importe quoi. Lire des équipes créatives différentes m’a permis de voir comment un même personnage peut être traité différemment. Dans le deuxième volume de l’Intégrale, Peter David prendra le relais de Claremont. Adorant son passage sur Facteur X, j’ai hâte de voir ce que cela va donner.
Thomas S.
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