L’avis de Sonia :
Après avoir lu Faith, j’ai voulu en savoir davantage sur l’équipe des Renégats à laquelle elle appartenait avant de devenir une héroïne solitaire. L’aventure collective semblant l’avoir à la fois transformée en une personne idéaliste et en une jeune femme traumatisée par certains événements, la lecture d’Harbinger s’imposait pour mieux comprendre tout ceci.
Harbinger est aussi la promesse d’un récit mettant en scène une – voire plusieurs – équipe de jeunes psiotiques cherchant à maîtriser leurs pouvoirs tout en échappant à des poursuivants particulièrement coriaces. La perspective de lire un omnibus reprenant un récit complet a fini de me décider à faire l’acquisition de cet imposant ouvrage.
Un résumé pour la route
Harbinger est un récit scénarisé par Joshu Dysart. Un grand nombre de dessinateurs se succède sur le titre parmi lesquels Phil Briones, Clayton Henry, Clayton Crain, Rafa Sandoval, Pere Perez, Barry Kitson, Pere Pérez ou Trevor Hairsine.
Harbinger est un titre Valiant sorti aux Etats-Unis entre 2012 et 2014 et en France chez Bliss Comics en 2017.
Le jeune Peter Stanchek est doté, depuis son enfance, de puissants pouvoirs télépathiques qu’il a bien du mal à maîtriser. Après des années passées dans un hôpital psychiatrique, il s’évade et vit caché, prisonnier de son addiction aux médicaments qui ne parvient pas vraiment à le soulager. Il squatte avec son meilleur ami, Joe, qu’il considère comme son frère. Pas forcément très équilibré, Peter cherche à renouer avec Kris dont il était amoureux étant plus jeune mais il use de son pouvoir pour la contraindre à tomber amoureuse de lui. Peter est recherché à la fois par la police et par un mystérieux personnage Toyo Harada, créateur de la fondation Harbinger. Ce dernier recrute des jeunes psiotiques pour les utiliser au service de son idéal. La rencontre entre Peter et Harada sera fatalement explosive.
On en dit quoi sur Comics have the Power ?
La thématique principale est celle de la découverte par des jeunes gens de tous horizons de pouvoirs variés qu’ils peinent à maîtriser alors qu’ils sont à la merci de groupes d’intérêts concurrents prêts à les utiliser. Cela nous rappelle évidemment d’autres équipes ou d’autres groupes comme les X-Men. Pour moi, la comparaison s’arrêtera là car loin de moi l’idée d’opposer Valiant et Marvel, chacun utilisant les mêmes outils avec des jeux d’écriture différents et variables selon les époques.
Harbinger explore plusieurs autres sujets et l’un des plus intéressants à mes yeux réside dans la relation d’amour / haine qui se développe entre Peter Stanchek et Toyo Harada : deux psiotiques aussi puissants l’un que l’autre qui auraient pu s’allier mais se trouvent très vite en opposition sur tous les points. Joshua Dysart évoque ainsi les relations houleuses qu’un père et un fils pourraient entretenir. Peter pourrait aussi être vu comme un jeune Harada qui n’aurait pas fait les mêmes choix que son antagoniste. Les deux personnages sont le reflet l’un de l’autre et cette relation complexe est vraiment le fil rouge de cette histoire.
Peter a tous les attributs de la jeunesse : la rage de n’être pas comme les autres, d’être un marginal dans une société normée, la colère d’avoir été trahi par des adultes manipulateurs qui ne pensent qu’à l’utiliser, la volonté de plier l’autre à ses désirs comme il le fait avec Kris. Mais il en a également toutes les qualités : la fidélité en amitié, la générosité dans l’affrontement pour ce qu’il estime être le bien. A cela, Peter ajoute un certain charisme, un doute perpétuel sur ses propres capacités qui en font un héros à la fois touchant et parfois horripilant.
Toyo Harada est loin d’être seulement le méchant de l’histoire : ses origines – un jeune Japonais touché par Hiroshima – révèle l’origine de ses blessures et de sa volonté de plier la terre entière à son idéal, même si ce doit être en sacrifiant des vies innocentes ou en manipulant les personnes qui placent leur confiance en lui. Toutes les actions d’Harada ont pour but de rendre le monde meilleur, peu importent les moyens. Là encore, on a affaire à un individu à la fois profondément odieux et malgré tout touchant dont on comprend les motivations. On retrouve donc ici la vieille question : la fin justifie-t-elle les moyens ? La fin d’Harbinger nous emmène directement vers la lecture d’un autre titre à paraître : Imperium dans lequel Harada va jouer un rôle majeur et je suis particulièrement curieuse de le lire car ce personnage m’attire malgré ses côtés particulièrement cyniques.
Mais Harbinger est aussi une histoire d’équipes : celle que forme Peter Stanchek qui rassemble des jeunes à la dérive dont la vie n’est pas particulièrement riante : Faith, une jeune femme geek orpheline qui cherche un sens à son existence et qui vole, Torque, un jeune handicapé qui peut se muer en mastodonte, Flamingo, une strip-teaseuse un peu paumée qui maîtrise le feu et Kris, son amour de jeunesse qui n’a pas de pouvoir mais est à la fois hyper intelligente et très déterminée. Cette équipe hétéroclite, qui se baptise « Les Renégats », apprend la vie en commun, à utiliser ses pouvoirs et à se battre pour leur survie et pour faire le bien. Ils rencontrent d’autres équipes de psiotiques dont certains sont au service d’Harada ou un autre groupe de psiotiques, la génération Zéro mené par Cronus.
Plusieurs puissances occultes se disputent les psiotiques et se lancent à leur poursuite comme le projet Rising Spirit, à l’origine de la création de Bloodshot qui joue un rôle dans le récit, ou le H.A.R.D Corps. Planant au dessus de tout ceci, apparaît le moine qui saigne, un des individus les plus étranges de ce titre.
Au vu de cette énumération, vous serez sans doute un peu perdus et je dois avouer que je le fus par moment : les personnages sont très nombreux, les groupes se croisent, s’allient, se quittent et l’action incessante ne permet pas toujours de prendre le temps de faire plus ample connaissance. Cependant, avec un peu d’attention, on arrive à retrouver les fils de l’histoire même si on aurait aimé que l’auteur développe un peu plus certains aspects afin de prendre davantage de temps pour explorer certains personnages. On sait toutefois qu’on peut retrouver la plupart des protagonistes dans d’autres récits, donc la frustration est passagère.
Graphiquement, malgré de nombreux dessinateurs œuvrant sur Harbinger, la qualité reste au rendez-vous et l’ensemble est assez homogène sans grande variation de qualité. Harbinger est sombre, parsemé de références à la culture geek et d’un dynamisme à la hauteur de ce scénario très dense.
Concernant le volume lui-même, on note une amélioration de la qualité de la reliure par rapport à Archer and Armstrong, des bonus en fin de volume avec les variantes et les crayonnés, un chapitrage bienvenu mais quelques coquilles orthographiques.
Alors, convaincus ?
Harbinger est à la fois une aventure collective puisqu’on assiste à la constitution d’un groupe de jeunes psiotiques mal assortis au départ mais qui mûrissent et grandissent ensemble au fur et à mesure qu’ils affrontent des épreuves. Ils apprennent à se connaître les uns et les autres mais aussi à se connaître eux-mêmes. Nous avons donc ici un récit initiatique plutôt bien ficelé qui laisse beaucoup d’ouverture pour écrire sur chacun des personnages individuellement ou en groupe.
On peut éventuellement relever que les thématiques des groupes adolescents qui apprennent ensemble à maîtriser leurs pouvoirs et surmonter leurs peurs ne sont pas neuves et c’est juste. Le récit est parfois un peu rapide et on espère retrouver par exemple le groupe Génération Zéro de Cronus dans d’autres titres.
Harbinger offre une galerie de personnages intéressants, en particulier Peter Stanchek et Toyo Harada qui pourraient être les deux versants d’un même individu tant ils sont à la fois proches et différents.
Harbinger est donc un très bon titre qui demande à se nourrir de lectures complémentaires comme Faith, Bloodshot Reborn ou Imperium à venir.
L’avis de Thomas :
Les comics, comme les virus, c’est souvent très contagieux. On connaît depuis un certain temps des éditeurs bien installés (Marvel et DC) mais on n’y peut rien, on cherche toujours à découvrir d’autres lieux à infecter. Ainsi, j’ai voulu me plonger dans un autre univers partagé avec Valiant Comics. Je ne partais pas neutre sur cet éditeur car les dithyrambes de certains contacts m’ont intrigué. Est-ce une folie furieuse ou ont-ils raison ? Le meilleur éditeur serait-il Valiant ?
Mais que choisir chez Bliss Comics, l’éditeur français de Valiant ? Il m’a semblé qu’une intégrale était paradoxalement le moyen le plus pratique pour découvrir un univers car cela laisse le temps de s’y plonger et de suivre sur le long terme. J’ai finalement choisi Harbinger car il s’agit de l’histoire d’un groupe et cela m’intéressait en raison de ma passion pour les X-men hélas frustrée par les évolutions actuelles.
Un résumé pour la route :
Plusieurs dessinateurs se succèdent le long de ces 928 pages dont Khari Evans, Barry Kitson, Clayton Henry, Rafa Sandoval et Trevor Hairsine mais l’ensemble est scénarisé par Joshua Dysart. Cet auteur américain a écrit plusieurs scénarios depuis ses débuts à la fin des années 90 dont Soldat inconnu et BPRD (la patrouille qui accompagne Hellboy). Il est par ailleurs très engagé politiquement et voyage pour des programmes humanitaires internationaux. Honnêtement, je ne connaissais pas ce scénariste avant de commencer la lecture d’Harbinger.
Harbinger commence comme un récit d’initiation : un jeune américain paumé utilise des pouvoirs mentaux pour survivre mais il se sait dangereux pour lui et pour les autres. Le PDG d’une puissante multinationale, Toyo Harada, vient lui proposer l’aide de sa mystérieuse organisation, Harbinger. Il ne s’agit que du pitch de départ car ce recueil rassemble (comme son nom l’indique) l’intégrale des 26 numéros de la série Harbinger et elle inclut également Harbinger War, un crossover avec Bloodshot et la suite d’Harbinger, Omegas.
On en dit quoi sur Comics have the Power ?
Il est difficile de faire un résumé de cette fantastique fresque qui vous happe dès la fin du premier run mais on peut mettre en avant certains atouts qui font de cette intégrale un incontournable pour qui aime les comics.
Le récit global se concentre sur la lutte de différentes factions pour s’emparer d’êtres dotés de pouvoirs extraordinaires, les psioniques. Ce récit n’est pas manichéen car, peu à peu, on découvre qu’il n’y a pas deux camps mais au moins trois et chacun défend une conception du monde crédible et trouble pour agir. Pendant tout le début du livre, on ne sait pas qui est bon car chaque personnage principal et bientôt chaque groupe a ses propres raisons pour agir et, au départ, on ne sait pas vraiment quelles raisons sont les plus justes moralement. On peut difficilement parler de héros ou de méchants. Selon les moments, certains paraissent bons mais fuient. D’autres commettent des actes ignobles mais pour sauver leur peuple. Les méchants sont tous aussi brisés que les bons. Cette complexité morale des actions permet de créer un récit très réaliste.
Le plus frappant au premier abord c’est que ces épisodes abordent frontalement des problèmes parfois très sensibles. On n’utilise pas de métaphore ou de sous-entendus pour montrer la douleur de vivre avec une maladie mentale ou l’addiction de certains personnages. Le Comics code est terminé et le scénariste ose parler sans détour de ce qui peut choquer. Pour autant, cela ne veut pas dire que l’histoire est maladroite. Au contraire, il y a une très grande subtilité. Le héros principal n’est pas simplement le mauvais garçon qui sèche les cours. Il agit de manière moralement très mauvaise pour survivre à un pouvoir qui le dépasse complètement. Dans un monde sans repères, des ados perdus cherchent des moyens d’avancer même si c’est en boitant. Doit-on pour autant les condamner ?
De plus, contrairement à ce que font les grands éditeurs, la diversité ethnique et physique est au cœur du récit. Non seulement, tout le monde n’est pas beau, riche et blanc mais les caractéristiques physiques des personnages ont des origines touchantes et des conséquences sur leur sentiments, leurs réactions… Cela rend chaque personnage terriblement humain. Ces créatures de papiers prennent une épaisseur que j’ai rarement lue dans une BD.
Vous pourriez, à cette étape de l’article, fuir en imaginant subir un récit pompeux et sinistre. Que nenni ! Ce récit est certes sombre mais, selon les personnages et les histoires, différents tons se mélangent. En effet, on sourit beaucoup grâce à certains personnages (Faith ou Torquenson) mais ce n’est pas bêtement fun. Dysart ne se contente pas de faire des clins d’œil vulgaires pour aguicher le lecteur. Ses traits d’humour ne sont pas des gestes gratuits mais ils servent le récit ou nous permettent de mieux comprendre les motivations ou les réactions de certains personnages. Il ne se moque pas de ses personnages. Il utilise le cynisme pour se moquer des puissants et les rendre ridicules. Faith est drôle surtout au début car elle ne cesse de comparer sa nouvelle vie avec celle des comics, ce n’est pas juste un geek mais un vrai personnage postmoderne dans le sens où elle permet au scénariste de montrer combien les comics comptent pour lui et en quoi ces œuvres, parfois méprisées, permettent de passer des moments durs dans la vie. Cet imaginaire dévorant est-il pour Torqueson une fuite face à une dure réalité ?
A travers différentes aventures d’un groupe de quatre psioniques, Dysart en profite pour aborder plusieurs thèmes dont la puberté (comment réagir quand un pouvoir apparaît, quand son corps change). On retrouve ici l’influence des X-Men mais modernisée car, par exemple, la frustration sexuelle est abordée frontalement. Ce récit est pleinement actuel par le recours à des faits d’actualité. Une histoire aborde les conséquences des WikiLeaks ; on organise une chasse à l’homme par application de smartphone. Le plus agréable c’est que Dysart prend le temps de développer des intrigues. Il ne bâcle pas un run ou la caractérisation d’un héros pour un crossover mais mène chaque intrigue jusqu’au maximum de ce qu’il a à dire. Même quand il y a un crossover, il sert la trame globale mais ne vient pas comme un cheveu sur la soupe.
Comme vous pouvez le deviner, le scénariste m’a fait une très forte impression mais que valent les dessins ? Après tout il s’agit d’un comics et non pas d’un roman. Les premiers épisodes d’Harbinger sont dessinés par Khari Evans et c’est également un vrai coup de cœur. Chaque case n’est peut-être pas parfaite mais il arrive à trouver des moyens graphiques très intéressants pour montrer par exemple les pensées envahissantes du personnage central qui peut entendre les pensées de tout le monde.
Il n’hésite pas montrer la violence mais sans jamais basculer dans la surenchère gore. Les scènes d’actions sont très dynamiques et faciles à suivre. Chaque scène, même les plus improbables, est crédible. Bien entendu, sur un livre aussi gros, les dessinateurs se succèdent. Certains ont un trait plus simplifié qui est parfois moins adapté au ton du récit selon moi. C’est logique mais on peut regretter cette succession d’artistes qui fait que le dessin est parfois irrégulier.
Alors, convaincus ?
Non seulement convaincu mais converti à l’univers Valiant. J’ai lu presque d’une traite ce pavé de 990 pages en 2 jours. Un récit général captivant, des personnages humains si touchants et des dessins très efficaces m’ont emballé. A peine fermé ce volume, j’ai foncé sur le site de Bliss Comics pour savoir s’il y avait une suite. Effectivement, la suite, Imperium, sort en octobre 2017 et se concentrera sur Toyo Harada, la nemesis du récit. Il est déjà sûr que j’achèterai ce comics. Je vous conseille par ailleurs de ne pas négliger la préface, très riche de Joshua Dysart (plutôt après la lecture du livre).
Tout comme toi j’ai beaucoup aimé cette série, alors que de base j’avais un à priori assez négatif (ayant peur de me trouver face un simili-x-men), mais ce n’est jamais vraiment le cas et j’apprécie la façon dont les personnages sont traités ! Ils ne sont pas tous parfaits et ce qui les poussent à agir est souvent « justifié » comme tu l’as très justement souligné ! (par contre j’ai lu la version Panini… mais cette version Bliss me fait de l’oeil…)
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