[interview] Katchoo, la grande prêtresse de The Lesbian Geek Blog

Parmi les quelques personnes qui m’ont encouragées à lancer Comics have the Power, l’une des plus énergiques fut Katchoo fondatrice du blog The Lesbian Geek, référence de la comicsosphère. Je ne saurais trop la remercier et ce d’autant que son blog est le tout premier blog comics sur lequel je suis tombée, je me rappelle avoir été totalement conquise par son ton et son contenu. Imaginez alors combien je fus heureuse de pouvoir rencontrer Katchoo au TGS springbreak et à la Paris Comics Expo 2016.

katchoo_1Depuis la création de Comics have the Power, j’avais donc en projet d’interviewer celle que je considère comme l’une de mes inspiratrices, c’est désormais chose faite et je ne peux que remercier Katchoo de s’être prêtée au jeu.

Katchoo, avant de devenir celle qu’on surnomme la grande prêtresse et d’écrire sur les comics, tu as commencé par en lire, peux-tu nous parler de tes premiers souvenirs de comics ?

Salut Sonia ! Avant de commencer et même si cela semble hyper convenu, je te remercie beaucoup de me consacrer un petit espace sur ton site.
Comme tu le sais (mais je le dis ici publiquement, comme ça, c’est clair pour tout le monde), j’ai toujours soutenu ton projet de lancer ta propre aventure en tant que blogueuse comics, et depuis quelques mois déjà ton bébé prend de l’ampleur, toi-même tu es sur diverses plateformes (les comics.fr, les podcasts de GG Comics… ) et du coup quel meilleur endroit que de pouvoir te féliciter ici et te remercier pour ton parcours, ta passion, ta perspicacité, et ton imparable sens de l’analyse.

Je ne suis pas une grande prêtresse. Je sais que tu as l’habitude de m’appeler comme ça, et ça me flatte autant que ça m’amuse. Mais à vrai dire, c’est bien toi la grande prêtresse, car ta capacité à intellectualiser et synthétiser tes propos sont souvent bien plus intéressants que les miens, principalement basés sur l’affect et le sensoriel, et mon rapport entre une œuvre et les émotions qui émanent en moi.

Ce n’est pas parce que j’ai ouvert une porte il y a 6 ans que l’on doit me considérer comme une « grande prêtresse ». J’ai juste commencé ma propre petite aventure à l’époque, parce que je ne me reconnaissais absolument pas dans ce qui était disponible en langue française dans ce domaine.

Et pour répondre à ta première question, dans mon enfance j’ai été marquée par deux titres, qui ont été édités à peu près à la même époque, il s’agit d’une part d’un épisode de Flash publié en 1985 par Artima/Aredit et qui correspond au The Flash #308 par Carmine Infantino et Cary Bates qui date de 1982 chez DC.  Du haut de mes 9 ans, j’ai lu ce titre qui se trouvait  à disposition sur une table dans la salle d’attente d’une dermatologue. Comme quoi, les dermato c’est la vie (ou ne sous-estimez jamais le pouvoir d’une dermatologue).
En parallèle et quelques mois plus tard, lors d’un trajet  sur la route des vacances avec ma famille, nous nous sommes arrêtés chfez un commerçant qui vendait toutes sortes de choses dont des bandes dessinées à prix sacrifiés. Ce jour là, mon père m’offrit La marque sanglante, une BD horrifique également paru chez Artima, en 1981.  A l’époque, j’ai été extrêmement marquée par cet album comprenant pas mal d’histoires différentes, mais ayant chacune une empreinte inoubliable pour un jeune cerveau (dans le bon sens du terme, cela va de soi). J’étais à la fois effrayée et fascinée par ces histoires, les relisant sans cesse et m’imprégnant  de leur scénographie.

Donc voilà, mes premiers souvenirs sont basés sur des expériences sensorielles très fortes issues de mon enfance, du super-héros DC dans toute sa splendeur d’un côté, et de la mouvance EC Comics de l’autre (mais en fait ça reste du DC vu que la série est issue en VO d’House of Mistery).
Je ne fais absolument pas partie de cette génération qui a connu et aimé les comics grâce aux éditions Strange et Lug. Tout cela m’était complètement inconnu. Il existait à l’époque d’autres façons d’aimer et de prendre part aux comics, les deux approches ne sont bien entendu pas indissociables. Elles ont même été complémentaires pour beaucoup d’entre nous.

katchoo_7J’ai beaucoup de personnes dans mes contacts qui ont été initiés aux X-Men par le biais des achats de leur frère aîné ou leur cousin dans les années 80. C’est loin d’être mon cas. Moi j’ai découvert tout cela pratiquement toute seule (déjà à l’époque, on me considérait comme quelqu’un de très bizarre quand je parlais de mes goûts et mes aspirations, et en tant que fille, oui je peux te dire que ça ne  passait pas très bien, mais je m’en foutais, car au fond de moi, je savais que j’avais bien raison, ou en tout cas, que je n’avais pas tort).

Mais dans mon enfance, sans parler directement de lecture et bien que cela soit intimement lié, deux personnages issus des comics ont bien scellé mon destin à jamais,  Il s’agit de Wonder Woman d’un côté et de Supergirl de l’autre. C’est bien simple, je voulais me marier avec la première et devenir la seconde. La vérité c’est qu’à l’époque, je n’avais jamais lu une seule page de BD de ces deux héroïnes avant d’avoir été hypnotisée par leur héroïsme audiovisuel. Et alors ? Du reste, je pense que je me suis bien rattrapée.

Tu dois ton pseudo à un personnage de comics, peux-tu nous en dire plus, pourquoi ce personnage t’est particulièrement cher ? Quels sont les personnages qui t’inspirent le plus ?

katchoo_2Mon pseudo fait référence à un personnage emblématique en ce qui concerne la représentation des LGBT dans les comics. Il s’agit donc de Katchoo, l’une des deux héroïnes de la série Strangers In Paradise de Terry Moore. Katchoo est un personnage au tempérament de feu, c’est une personne passionnée qui démarre au quart de tour. En même temps elle s’avère être extrêmement attentionnée et douce envers les gens qu’elle aime, quel que soit leur sexe, et ce malgré le temps qui passe…
Elle a énormément souffert dans sa vie, mais a su trouver un certain salut grâce aux diverses rencontres qui jalonnent son existence. Elle a beau être un personnage fictif, ses démons, ses blessures, ses réactions, je ne les connais que trop bien, c’est pour cela que j’ai « embrassé » cette identité depuis 20 ans déjà, prendre ce pseudo a toujours été pour moi un hommage.
Katchoo est une source d’inspiration pour moi depuis toutes ces années, je lui suis fidèle au même titre qu’elle est fidèle envers les gens qu’elle aime. Et puis, nous sommes de la même année et du même mois… Coïncidence ?

Je ne rentrerai pas plus en détail dans ma vie personnelle, mais tout ce que je peux dire c’est que Terry Moore a sauvé ma vie. Son œuvre m’est apparue alors que j’étais au fond du trou, au même titre que Francine est arrivée dans la vie de Katchoo. J’ai eu tout de suite l’impression que quelqu’un me comprenait, enfin. Pas uniquement vis-à-vis de ma sexualité, mais vis-à-vis de mon existence toute entière. Et j’ai beaucoup, beaucoup de chance d’avoir été repêchée par Strangers In Paradise

Les personnages qui m’inspirent le plus sont ceux qui m’aident à avancer dans mon quotidien. J’ai un gros problème, je suis une personne extrêmement sensible. Du coup je ressens les choses et les informations sans forcément pouvoir me protéger. Mais du haut de mes 40 ans, je pense qu’il vaut mieux appréhender le monde de cette façon plutôt que de se sentir complètement blasé à 20 piges…

Il m’arrive de chouiner devant 3 fois rien, mais ce dont je suis la plus sensible, ce sont les messages véhiculés par certains personnages (et évidemment les auteurs qui œuvrent derrière). De ce fait, Batwoman est mon Icône, ma guerrière, mon soldat de la cause LGBT. Depuis sa (re) création en 2006, elle a amené et véhiculé une image tellement positive à l’encontre de notre communauté. Je pense souvent aux jeunes lecteurs/lectrices qui la découvrent et qui s’inspirent de son parcours pour avancer dans leur vie personnelle.

katchoo_5Ensuite évidemment il y a Wonder Woman, pour tout un tas de raisons et cela me prendrait des jours et des jours à les décrire. Je suis autant fasciné par ce personnage que par son créateur, Williiam Moulton Marston. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il était en avance sur son temps, de par son mode de vie, ses idées, sa vision des femmes, et ce même si sa vie comprenait également quelques parts d’ombre. Il me tarde d’ailleurs de voir le biopic qui va lui être consacré au cinéma, cela aura l’avantage de faire la lumière sur cet homme fascinant dont le grand public ignore même l’existence.

Et puis, j’ai une grande affection envers les jeunes héroïnes, Supergirl, Stephanie Brown, Barbara Gordon, Danielle Baptiste, Roxy Spaulding, Spider-Gwen… J’aime leur côté pétillant et solaire (la plupart du temps). J’ai toujours eu un rapport particulier avec Kara parce que je rêvais d’être comme elle lorsque j’avais 10 ans. Je me sentais différente, comme une étrangère, et je ne savais pas vraiment pourquoi. Du coup je m’imaginais être originaire d’une autre planète (la planète Lebos sans doute ^^), et que le moment venu, je m’épanouirai, il suffisait juste d’être patiente.

Mention spéciale à Renee Montoya, qui est pour moi un personnage exceptionnel au parcours qui ne l’est pas moins, oh et puis il y a Raven aussi ! Non mais là je me rends compte que ta question est plus épineuse qu’il n’y parait ! Tu vas me dire que tout cela manque de Marvel Girls mais comme je l’ai dit plus haut, j’ai reçu de base une « éducation » DC Comics, du coup je pense que cela se ressent dans mon rapport avec ces héroïnes.

Si tu devais inviter 5 artistes en priorité, tu choisirais lesquels et pourquoi ?

  • Terry Moore parce qu’il n’y a pas de meilleur être humain sur cette planète
  • JH Williams III parce que c’est un génie et que je pourrais passer ma vie uniquement à le regarder dessiner
  • Gilbert et Jaime Hernandez (oui je sais je triche !!!) parce que je crois qu’ils ne sont jamais venus en France que ce sont deux monstres sacrés de la bande dessinée.
  • Stjepan Sejic parce que Witchblade, Angelus, Sunstone, et parce que c’est un artiste hors norme qui n’est jamais encore venu en France, à ma connaissance
  • Bernie Wrightson, William Kaluta, Barry Windsor Smith (Je triche encore ! Sorry ! :p ) parce que ce qu’il reste du Studio, c’est la vie !

 

Qu’est-ce qui fait pour toi un bon comics, quelles sortes de titres aimes-tu lire ?

C’est très compliqué comme question ! Je n’ai pas de genre particulier, je m’éclate autant à lire Lumberjanes que Sin Titulo. Et je ne pense pas non plus avoir de prédilection envers un format, je lis des séries régulières ou des mini-séries, one shots et autre graphic novels…

Un bon comics pour moi c’est celui qui arrive par me prendre par les sentiments, par exemple j’ai adoré Y The Last Man, et je n’arrive pas à aimer Saga, alors qu’il s’agit du même scénariste. Ce n’est pas le même genre, certes, mais c’est juste que je n’ai pas réussi à rentrer dans l’univers de Saga alors que pourtant, j’adore la SF et l’Heroic Fantasy… Va comprendre.

Certains fustigent beaucoup les Big Two et pensent que tout était mieux avant dans le monde des comics, est-ce ton avis ?

Tout était mieux avant… Avant quoi ? Les New 52 et Marvel Now ? Je pense que beaucoup d’entre nous aiment s’accrocher à leurs souvenirs d’enfance, à la série, l’ambiance et les héros qui nous ont fait basculer du côté obscur des comics. Etre nostalgique c’est un peu rassurant, mais d’un autre côté on peut passer à côté de titres qui méritent vraiment le coup d’œil.

Et puis les BT c’est vraiment la partie visible de l’iceberg. On a la chance de pouvoir lire des tonnes de séries provenant de tas d’éditeurs différents, je crois que l’offre n’a jamais été si diversifiée, du coup pourquoi fustiger DC ou Marvel ? Si ça ne plait pas, il suffit de changer de crèmerie !

Comment es-tu passée du statut de lectrice de comics à celui de blogueuse comics ? Pourquoi avoir choisi le format blog plutôt que d’autres ?

A vrai dire, avant de créer le TLGB en 2010 j’avais déjà eu une première petite expérience en tant que blogueuse, c’était à l’époque où j’étais encore projectionniste, c’était plus un blog perso qu’autre chose, d’ailleurs ça s’appelait « Le coin de Katchoo ». Je postais des billets d’humeur sur tout et n’importe quoi… évidemment je parlais de ciné et de BD, sans oublier bien sûr la problématique LGBT, je postais aussi des photos de vacances avec le Sidekick, de mes chats, oui en gros c’était Facebook avant l’heure !

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Parallèlement, j’étais très impliquée sur un forum lesbien qui a en quelque sorte changé ma vie, vu que j’y ai rencontré l’autre maman du Sidekick. En fait j’ai toujours aimé écrire, pour moi, pour les autres, quand j’étais gosse j’avais toujours un petit carnet sur moi pour poser des idées (parce que je m’imaginais être Lois Lane… sans déconner). Puis quand à 14 ans j’étais bénévole dans un cinéma et qu’il m’arrivait de faire le mur pour aller voir un film, j’avais un autre carnet que je sortais de l’intérieur de ma veste dans l’obscurité pour scribouiller des mots clés au fil de mes émotions pour retranscrire ensuite tout cela dans mon journal intime. Oui mon journal intime d’adolescente à moi, ce sont des reviews de films des années 90. Quand j’y repense, je trouve ça plutôt cool, sauf que j’ai toujours la même écriture de merde, digne d’un enfant de CP.

Et si j’ai choisi ce format plutôt qu’un autre, c’est surtout parce que je le trouve très simple à utiliser, je n’aime pas me compliquer la vie, elle l’est bien assez comme ça !

Pourquoi avoir quitté l’aventure collective et crée ton propre blog ? Le titre et le sujet allaient-ils de soi ? Peux-tu présenter la philosophie de Lesbian Geek blog ?

Je pense que tu veux parler de mon expérience au sein de Comics Blog. Comme je viens de l’évoquer, à la base j’ai démarré toute seule comme une grande. Tout a véritablement commencé pour moi suite a un post consacré à Savage Dragon qui faisait écho à un billet de Thomas Rivière sur son site Comics Place. Quelqu’un a relayé mon post dans ses commentaires, et je pense que le nom de mon blog a ensuite fait le reste…

Sullivan s’est intéressé à moi par la suite, nous nous étions rencontrés furtivement lors du Lille Comics Festival de 2011, et j’ai dit oui. Son équipe était jeune et dynamique, moi j’étais déjà une vieille fille à l’époque, je me demande encore comment il a pensé à me recruter ! Le problème c’est qu’entre mes posts perso (avec un blog qui prenait petit à petit de l’essor) ceux de CB et ma vie de famille sans parler du boulot, je n’y arrivais plus vraiment, du coup j’ai dû me recentrer sur l’essentiel. Mon passage sur Comics Blog reste pour moi une très bonne  expérience, je pense y avoir apporté un petit sel sympathique à l’époque, comme pas mal de mes co-blogueurs, Jeff, Romuald, etc

Mais je pense rester une personne vraiment indépendante. Dans mon travail de tous les jours je suis le petit maillon d’une immense chaine, un matricule, et je fonctionne en collectif 8 heures par jour. Du coup je pense que sur le web j’ai besoin d’être indépendante, d’être la patronne de mes propres mots. Et puis je suis loin d’être toute seule, il y a des années de cela Julien est venu vers moi pour faire partie de l’aventure, et par ce biais ce blog me prouve encore et toujours qu’il s’agit d’une de mes meilleures expériences, tout simplement parce qu’un jour, j’ai juste entamé un truc…

La philosophie du TLGB, c’est justement l’amitié, les sentiments, les ressentis, les émotions, et la tolérance, surtout.

Ton blog parle bien sûr et avant tout des comics, mais si on te dit que c’est aussi un blog militant, tu es d’accord avec ça ?

Tout est dans le titre non ? 😉

C’est un blog militant sans vraiment l’être, en appelant ce blog The Lesbian Geek, je voulais surtout que la couleur, les couleurs plutôt, soient annoncées dès le départ. Comme ça pas de malentendu ni de surprises, en lisant mes billets on sait à quoi s’attendre et si ça ne plait pas, des blogs de comics il y en a à la pelle, et pour tous les goûts. Par contre penser que les idées du blog sont sectaires où communautaristes, c’est vraiment être à côté de la plaque.

Que penses-tu de la place du lectorat féminin dans les comics ? et du rapport des femmes et des comics en général ?

katchoo_4On fait partie de la même génération, et je crois qu’on est toutes les deux bien placées pour pouvoir dire que les filles ont toujours eu leur place en tant que lectrices de comics. C’est drôle parce qu’être une lectrice de comics c’est un peu comme être homo, c’était quelque chose qu’on n’osait pas dire à une certaine époque de peur d’être jugée, et encore plus quand on est une nana. On dit souvent que les lesbiennes sont invisibles, c’est un peu la même chose pour les lectrices de comics, du moins à une certaine époque. Moi dans mon entourage je n’avais personne qui partageait cette passion, et depuis je me rends compte que je n’étais vraiment pas toute seule, j’étais juste un cas isolée parmi tant d’autres !

Grâce à internet beaucoup de choses ont changé. Déjà on se rend compte qu’on n’est plus tout seul, qu’il y a plein de filles qui ont le même vécu que vous. J’avais déjà eu cette sensation en lisant le courrier des lecteurs de Stangers In Paradise à la fin des années 90. Beaucoup de filles écrivaient dans les colonnes du courrier de SIP, et j’appréciais autant leurs lettres que le contenu de la série car je m’y reconnaissais doublement.

Et pour ce qui est du rapport entre les femmes et les comics, je dirais que c’est une très longue histoire ! Ma première vraie conférence portait là-dessus. D’un côté on a les personnages féminins, qu’ils soient hyper sexualisés, iconiques, contemporains, d’un autre côté les auteures, beaucoup plus nombreuses qu’on ne le pense car elles agissaient souvent dans l’ombre alors qu’aujourd’hui certaines d’entre elles sont de véritables stars, et puis il y a nous, les lectrices, toujours plus nombreuses, autant sur le web que dans les conventions et festivals.

On parle beaucoup de la féminisation des séries de super-héros, et je sais que cela irrite beaucoup de lecteurs masculins. Non pas parce qu’ils sont sexistes, mais parce que pour eux c’est un manque flagrant d’originalité. Et là on revient au fameux « c’était mieux avant ! ». Avant, c’était différent, avant, on ne voulait pas voir ces lectrices invisibles, où quand on allait les chercher, on était un petit peu à côté de la plaque. Maintenant on se rend juste compte que la lectrice est une cible marketing comme les autres.

Le fait qu’un scénario soit écrit par une femme ou un auteur gay a-t-il son importance pour toi ?

Oui… et non. J’aurais des tas d’exemples et de contre exemples. Terry Moore, Greg Rucka, Ron Marz sont des hommes hétéros qui ont fait évoluer des personnages lesbiens merveilleux et parmi mes préférés. D’un autre côté le féminisme militant de Gail Simone et Kelly Sue DeConnick se ressent jusqu’au bout des ongles. Et puis Marc Andreyko qui est gay s’est complètement viandé sur Batwoman… Mais je ne peux pas lui en vouloir avec ce qu’il vient de nous offrir avec son Love is Love.

Ce qui a de l’importance pour moi c’est qu’un être humain s’adresse à un autre être humain en lui racontant une histoire crédible. Par crédible je veux dire sincère, parce que l’auteur sait tout simplement de quoi il parle quelque soit son genre ou son orientation sexuelle.

Quand on voit tous les débats dès qu’on personnage gay apparaît, tu te dis quoi ? Il y a encore du boulot ? On est fichus ? On progresse ?

katchoo_6Dès qu’un personnage LGBT apparaît je suis heureuse. Dès que ce personnage est le héros ou l’héroïne de sa propre série, j’exulte. Dès qu’il devient un symbole pour tous les lecteurs qui sont derrière lui ou elle, j’ai juste envie de pleurer. Pour moi il n’y a pas de débat possible. C’est comme pour le mariage gay, l’adoption, la PMA ou la GPA, il y a pas de débat envisageable. Sur quoi y aurait-il à débattre ? Comment une catégorie de personnes peut-elle se permettre de limiter ou de conditionner une autre catégorie dans sa vie, ses goûts, ses chances de s’épanouir ?

Si certains lecteurs en ont marre de voir des personnages gays dans leurs comics, qu’ils changent de planète, mais ça risque d’être un peu compliqué. Personnellement je suis tolérance 0 pour ceux qui ne tolèrent pas tout ce qui se rapporte aux LGBT. La gentillesse et la compassion ça va bien un moment, j’y ai moi-même grandement participé, mais là on a plus le temps de faire du social avec les haters.

Tu as accompagné certains projets comme celui de Pierrick Colinet et Elsa Charretier, The Infinite Loop, peux-tu nous en dire un mot ?

La première fois que Pierrick et Elsa m’ont parlé de The Infinite Loop, c’était en Avril 2014 lors de l’édition printanière du TGS. Ils m’ont décrit ce projet vraiment ambitieux avec beaucoup de passion et de sincérité, et franchement je ne vois pas comment j’aurais pu passer à côté d’une telle aventure. J’ai longuement discuté avec Pierrick au fil des mois sur le fait d’être d’homosexuelle et lorsqu’ils m’ont demandé de compléter leur livre par un de mes dossiers (celui sur l’homosexualité dans les comics), cela m’a beaucoup touchée.

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Lorsque l’on voit comment cette œuvre a évolué au fil des mois (d’un projet de financement Ulule à une publication aux States chez IDW puis en France chez Glénat Comics), cela donne beaucoup d’espoir en matière de représentativité, et on se dit ainsi que tout peut arriver.

Le combat féministe est primordial pour toi également, les deux causes sont-elles liées ? Que penses-tu de la représentation des personnages féminins dans les comics ?

Oui les causes gay et féministes sont intimement liées et extrêmement importantes pour moi, déjà parce que je suis les deux, et ensuite parce qu’il faut faire tout ce que l’on peut pour protéger et soutenir toutes les minorités quelles qu’elles soient.

Sur mon blog, je fais en sorte de parler de représentation positive, je trouve cela beaucoup moins intéressant de passer une soirée à massacrer la couverture de Spider Woman de Manara par exemple. Il m’arrive encore de râler évidemment, mais beaucoup moins qu’avant je trouve.

Et pour ce qui est de la représentation des personnages féminins, comme je l’ai dit plus haut, elle a beaucoup évolué et évoluera encore, je l’espère avec toujours plus de progrès.

Outre le blog, tu es hyper active dans l’organisation du TGS comics, peux-tu nous parler aussi de cette aventure ?

katchoo_9Hyper active, je ne sais pas, mais oui je donne beaucoup d’énergie et de temps au TGS Comics, et en plus j’aime ça ! Le TGS Comics, c’est avant tout une équipe soudée partie de l’impulsion de Paul Renaud et l’équipe organisatrice du Toulouse Game Show. Ils me font totalement confiance pour ce qui est de la gestion du stand et de sa logistique… je ne sais pas trop quoi dire, oui c’est clair que c’est une aventure, et pas qu’un peu ! Si on m’avait dit il y a quelques années que je ferai partie de cette épopée, je ne l’aurais pas cru, c’est clair.

Dans l’organisation du TGS Comics il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup d’amour et d’humanité. Je ne parle pas que de moi mais de tous les copains qui œuvrent à mes côtés. Pendant deux jours on est dans une sorte de cocon, évidemment on a des moments de stress et des coups de speed, mais on est vraiment contents d’accueillir les festivaliers et d’offrir le meilleur à tous nos invités. Et à priori, cela se voit et se ressent bien au-delà de ce petit cocon.

Le fait qu’il se déroule deux fois par an nous permet aussi de nous perfectionner rapidement et régler au mieux nos imprécisions d’une session à l’autre.

Je crois savoir aussi que tu t’es lancée dans l’écriture avec ta propre série, tu veux bien nous en parler et présenter ton projet ?

Une série c’est un bien grand mot, nous verrons avec le temps si cela en devient une, mais oui, j’ai écrit le scénario d’une BD qui s’appelle Prisme The Queer Defender et qui est dessinée par Cab, l’auteure de Slash & Moi et qui a participé au collectif Les chroniques Mauves.  Nous habitons à quelques kilomètres l’une de l’autre. En Juin dernier, quelques jours après la tuerie du Pulse et lors du Salon LGBT BD qui a eu lieu à Toulouse, Jean-Paul Jennequin nous a demandé si l’on ne voulait pas travailler ensemble sur un comics de super héros LGBT à paraître dans la prochaine Revue LGBT BD.

J’ai été très marquée par le massacre d’Orlando. Alors j’ai décidé de créer une super héroïne dans ce contexte particulier. L’histoire se déroule dans un futur relativement proche où l’extrême droite est passée au pouvoir, et où les exactions homophobes sont devenues non seulement une banalité, mais restent totalement impunies. Les pouvoirs de mon héroïne (qui est capable par le biais de visions, d’anticiper diverses menaces envers les LGBT liées à l’homophobie) correspondent à un événement dramatique survenu dans une boite gay quelques années auparavant…

Concevoir ces quelques pages avec Cab a été pour moi une toute nouvelle expérience vraiment enrichissante, la voir œuvrer sur son story board avec une telle facilité sur la terrasse de sa maison restera pour moi un souvenir inoubliable ! J’avais déjà écrit plusieurs histoires dans mon coin, mais celle-ci est la toute première publiée, en plus dans un magazine qui me tient beaucoup à cœur. Je me suis vraiment éclatée à le faire.

Si tu avais un message à donner aux jeunes LGBT qui nous lisent et plus largement à nos lecteurs, ce serait quoi ?

Aux jeunes LGBT je leur dirai tout simplement je vous aime, pour ce que vous êtes déjà et pour ce que vous allez devenir. Ne laissez jamais personne vous influencer et vous dire que vous êtes des tares de la société, car bien au contraire, vous êtes des diamants, vous brillez par votre courage, votre humour, votre vision salvatrice de la vie, et même si vous flanchez un jour, sachez surtout que vous n’êtes pas seuls, sachez que nous sommes légion. We Soldier On.

Aux lecteurs de Comics have the Power, et bien justement, vous avez tous le pouvoir de faire en sorte que l’on puisse vivre ensemble dans un monde de tolérance et d’égalité, l’année 2017 qui s’annonce bien sombre ne doit pas faire oublier que dans notre quotidien, chacun d’entre nous peut faire la différence.

10 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. pistoletabulles dit :

    Une interview passionnante. Merci

    Aimé par 1 personne

  2. Lefeuvre dit :

    Comme disait un certain Homer à Marge, en conclusion d’un épisode de crise existentielle où il était à la recherche de son âme-sœur.

    « Tu sais quoi, Marge ? J’viens d’comprendre un truc : Nos différences sont superficielles, mais nos ressemblances sont VACHEMENT pro-fondes ! »

    Je ne crois pas que 2017 sera sombre.

    Bizarrement, je suis très optimiste.
    Notamment quand je vous lis.

    Bises !

    Aimé par 1 personne

    1. Sonia Smith dit :

      Merci infiniment Laurent d’avoir réagi sur cette interview, ton soutien et ton intérêt me réchauffent le coeur dans ces périodes compliquées. Bises à toi aussi 🙂

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  3. JP Nguyen dit :

    Coucou, belle interview mais je crois qu’il manque une partie du texte après cette réponse :
     » parce que ce qu’il reste du Studio (xxx texte manquant ?xxx) c’est la vie »

    et aussi, il y a un contresens dans : « je trouve cela beaucoup moins intéressant que passer une soirée à massacrer la couverture de Spider Woman de Manara par exemple »
    ce serait pas « beaucoup plus intéressant que » ou alors « beaucoup moins intéressant de » ?

    Désolé, les habitudes de Relektor ont la vie dure…

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    1. Sonia Smith dit :

      Merci oeil de lynk, je rectifie !

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  4. Guesswhat dit :

    Merci pour cette super interview et pour m’avoir fait découvrir le super site de Katchoo !

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    1. Sonia Smith dit :

      Avec plaisir, c’est un des sites qui m’ont redonné la passion des comics

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