[Review] Zenith

La collection Urban Indies ne cesse de s’étoffer et de proposer des œuvres récentes ou des éditions de titres de qualité qui ont marqué leur temps et la carrière de leur auteur. C’est le cas de Zenith qui a contribué à lancer la carrière de Grant Morrison dont on peut dire qu’il a fait un sacré bout de chemin depuis !

Le sujet traité dans Zenith a été repris par la suite par d’autres auteurs, à l’instar de Mark Millar. Des super-héros apparaissant pendant la Seconde Guerre mondiale impliqués dans les combats laissant place à une génération égoïste et décérébrée, voici le thème central de Zenith mais rassurez-vous, ce titre offre une réalité plus complexe et pose des questions à la fois sur la stature du héros et sur l’état de la société des années 1980.

Un résumé pour la route

zenith_1Zenith est un titre paru dans la mythique revue 2000 AD entre 1987 et 1988. Grant Morrison en assure le scénario tandis que Steve Yeowell gère la partie graphique. Urban comics édite le titre en France en septembre 2016.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le super-héros anglais, Maximan sauve le monde du nazisme en accompagnant les troupes alliées jusqu’à Berlin jusqu’à son combat final contre Masterman son alter-ego nazi. Sans scrupules, les armées alliées larguent une bombe qui extermine les deux surhommes. En 1987, le monde a bien changé, les super-héros britanniques des années 1960 ont soit disparu soit ont perdu leurs pouvoirs et sont oubliés du grand public. La société anglaise est désormais davantage fascinée par la télévision et les stars de la chanson. Parmi ces nouvelles idoles se trouve Zenith, le fils de White Heat et Doctor Beat, deux surhumains qui sont morts bien des années auparavant. Zenith est égoïste et n’est que la marionnette de son agent qui gère tant bien que mal l’ego surdimensionné du jeune homme et ses caprices.

Pourtant, la vie de Zenith va basculer quand une menace qu’on croyait enterrée à jamais refait surface et risque de détruire le genre humain. Zenith devra faire des choix qui auront des répercussions sur la planète entière.

On en dit quoi sur Comics have the Power ?

Grant Morrison écrit Zenith alors qu’Alan Moore a déjà dynamité le monde des comics avec son Watchmen. La série sort dans 2000 AD qui publie des titres qui questionnent la société dans laquelle nous évoluons. La Grande-Bretagne de Margaret Thatcher donne aux auteurs matière à réflexion, tout comme l’avènement de la société des loisirs et du star système. Les années 1960-70 et leurs utopies idéalistes – flower power, mouvement hippie – ont volé en éclats laissant place à un monde qui se recroqueville et se crispe tout en s’étourdissant.

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Zenith montre fort bien cette mutation sociétale en commençant par mettre en scène Maximan, un héros très semblable au Captain America de chez Marvel, un super soldat qui meurt pour son pays, un surhumain patriote, qui est finalement sacrifié par les siens qui l’utilisent tout en en ayant peur. Morrison dénonce ainsi l’hypocrisie qui conduit à sacrifier l’innocent pour être bien sûr d’exterminer le coupable – allusion à Hiroshima et ses innombrables victimes civiles ?

Le scénariste écossais montre aussi combien les utopies pacifistes des années 1960 sont bel et bien mortes avec les héros de cette époque. Là encore il s’agit d’une parabole de notre société : les anciens hippies qui voulaient changer la vie sont morts ou devenus inutiles voire impuissants, privés de leurs pouvoirs. Comble de l’horreur, l’un d’entre eux, Peter St John alias Mandala, est devenu un proche de Margaret Thatcher ! Ironie du sort quand on pense que ceux qui devaient sauver le monde et prônaient des valeurs d’ouverture sont devenus des lâches ou des conservateurs.

Et qu’en est-il de la jeune génération de héros ? Zenith est le dernier d’entre eux, il est beau, jeune, extravagant et…chanteur ! Ses intérêts sont purement égoïstes : se produire sur scène, profiter de la vie et se soumettre aux aléas de la mode. Zenith est un sale gosse gâté, insouciant des problèmes qui l’entourent dont il n’a vraiment que faire. Évidemment, des événements mettant en danger la planète vont le pousser à se révéler et à se servir de ses pouvoirs pour le bien de tous. Morrison fait évoluer son personnage tout en lui conservant son côté sale gosse qui donne un aspect un peu léger à ce titre bien sombre par ailleurs. Le scénariste donne finalement à son œuvre une belle touche d’optimisme : oui, on n’attendait rien de Zenith, il faut le pousser dans ses retranchements et capter son intérêt pour qu’il daigne intervenir mais lorsqu’il le fait, il s’investit réellement. Faut-il en déduire qu’il y a du bon aussi dans cette génération tant décriée ? Nous vous laisserons en juger par vous-même à la lecture de ce premier volume !

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Zenith évoque aussi la question complexe de l’eugénisme et des manipulations génétiques issues des travaux des médecins nazis. Le mythe de l’homme supérieur n’est pas mort et des chercheurs y travaillent au risque de créer les monstres qui précipiteront l’humanité vers sa fin. Le scénariste glisse aussi des références aux recherches sur la génétique ou aux mystères de la conscience individuelle ou universelle en montrant à plusieurs reprises l’ouvrage de Schrödinger, Qu’est-ce que la vie ?

Pour Morrison, l’homme est à la fois son propre ennemi et son sauveur, le meilleur et le pire se côtoient et chacun de nous est libre du choix qu’il fait. Hélas, un choix individuel a parfois des répercussions très larges sur le genre humain tout entier.

Graphiquement, je dois avouer que les dessins de Steve Yeowell sont bluffants et le noir et blanc met vraiment en valeur son trait avec un encrage extrêmement efficace qui rehausse un dessin dynamique et puissant. Les scènes d’action ont une force impressionnante et Steve Yeowell se concentrent sur les clair-obscurs, délaissant les décors pour accentuer son travail sur la mise en valeur des personnages. Les quelques planches en couleurs montrent fort bien combien le noir et blanc donne une valeur ajoutée à cet ouvrage.

Alors, convaincus ?

zenith_3Si Zenith n’est pas le seul comic-book jouant sur l’opposition générationnelle entre héros d’un âge d’or désintéressé et surhumains égocentriques, il faut reconnaître à Grant Morrison qu’il pousse l’exercice à un très bon niveau car il ne se contente pas de dynamiter des mythes trop lisses, il met le lecteur face à la société dans laquelle il vit, dans laquelle, il n’est pas seulement spectateur d’un monde finissant. Sommes-nous tous devenus des Zenith ? C’est la question que Morrison nous pose à tous. Resterions-nous des enfants capricieux, détournant le regard et continuant à danser sur un volcan ou accepterions-nous de faire notre part du travail pour « changer la vie » ou du moins sauver ce qui peut encore l’être ?

Franchement, Zenith est un titre intéressant, un comic-book qui bouscule des certitudes. Ce titre vaut le coup d’être lu et contemplé car le fond et la forme se marient très bien dans cet ouvrage au ton qui peut parfois être léger en apparence mais dont le sujet reste grave.

5 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Sim Theury dit :

    Il me botte bien celui-ci. J’ai lu la preview dans Comic Box et le trait est sympa.

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    1. darkphoenix73 dit :

      Franchement vas-y, il est vraiment intéressant et on n’est pas si loin des sujets environnementaux 😉

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  2. Sim Theury dit :

    Bon ben là plus trop le choix alors …

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  3. wildstorm dit :

    2 Morrison qui m’attiraient ce mois-ci : Zenith et Annihilator. Pour maintenant, j’ai hésité et j’ai finalement pris plutôt Annihilator parce qu’il n’y avait pas de suites 🙂 – j’essaye d’éviter de cumuler trop de retards^^ – . Du coup, Zenith, ce serait pour plus tard je pense….

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    1. darkphoenix73 dit :

      Tu me diras ce que tu penses d’Annihilator, j’ai aussi hésité entre les deux, mais Phil, un bon conseil, m’a conseillé Zenith et je l’ai écouté :-). Toutefois, Annihilator me tente aussi…

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